Au lendemain de la rafle policière contre les Hells Angels, le Bloc québécois estime qu'il faut aller plus loin et «déclarer illégale l'organisation des Hells Angels, ou toute autre organisation de même nature».

Le porte-parole bloquiste en matière de Justice, Réal Ménard, va demander la semaine prochaine au comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes «d'étudier les avenues juridiques» en ce sens et de faire rapport au Parlement.

 

M. Ménard estime que pour les Hells Angels, le fait d'avoir une existence légale malgré leurs activités criminelles facilite le blanchiment d'argent.

L'enquête SharQc a permis de saisir jusqu'à maintenant 5,3 millions en argent liquide. Notons que l'enquête Printemps 2001 avait démontré que les Hells avaient réalisé un profit de 110 millions en 14 mois.

Par ailleurs, dit M. Ménard, en permettant aux Hells de porter leur emblème, on facilite leurs pratiques d'intimidation.

Les banques de données publiques montrent que trois entreprises enregistrées au Québec sont liées au groupe de motards criminels: Club motocycliste Hell's Angels (Québec) inc., Club de moto Les Hells Angels de Sherbrooke inc. et 2314-3639 Québec inc., qui se dit active dans les «bikeshows» et l'immobilier. Par ailleurs, le registre fédéral comporte une entrée au nom de Hells Angels (Montreal) Inc./Anges de l'enfer (Montréal) Inc.

M. Ménard se dit favorable à une procédure devant un tribunal qui entraînerait une déclaration judiciaire d'illégalité contre un groupe. Il ignore cependant s'il faut prendre pour modèle la procédure employée pour interdire un groupe terroriste.

Actuellement, en vertu de modifications au Code criminel adoptées en 1997, on peut être accusé de gangstérisme. Il faut pour cela faire partie d'un groupe d'au moins trois personnes, dont au moins une qui commet des crimes graves dont l'organisation tire un bénéfice. Mais cela n'entraîne pas l'interdiction de l'organisation en question.

Selon M. Ménard, «les policiers ne sont pas dépourvus de ressources actuellement». Mais, ajoute-t-il, «peut-être qu'on n'aurait pas dû investir autant de ressources» si les Hells Angels avaient été déclarés illégaux, ce qui aurait pour effet de «renverser le fardeau de la preuve».

»Risques de dérapage»

Anne-Marie Boisvert, professeure de droit criminel à l'Université de Montréal, avertit cependant qu'il y a «des risques de dérapage». «Je ne suis pas chaude à l'idée d'avoir des crimes par association. Les Hells Angels sont bien connus et c'est une chose, mais jusqu'où va-t-on après ça?»

Cependant, note-t-elle, «ce n'est pas qu'une question juridique, mais une question de stratégie pour les policiers et les forces de l'ordre».

Par ailleurs, Mme Boisvert dit espérer que les ressources de la justice seront à la hauteur de celles déployées par la police dans l'opération SharQc, qui a entraîné 128 arrestations. Elle rappelle qu'un juge a condamné récemment l'État à dédommager un délateur. «Le travail n'est pas fini, dit-elle. J'espère qu'on va donner les moyens aux procureurs et dans la gestion du tribunal. Et pour gérer adéquatement les délateurs.»

Selon le porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique, Bertrand St-Arnaud, «on a déjà entre les mains les outils législatifs pour aller très loin contre le crime organisé, ce qui a permis les opérations» de mercredi.

Il exige toutefois plus d'enquêteurs et de procureurs pour utiliser certains de ces «outils», comme la loi sur la confiscation des produits d'activités criminelles. En vertu de cette loi adoptée en 2007, le tribunal peut ordonner la confiscation de biens «s'il est convaincu que (ceux-ci) sont des produits d'activités illégales». La loi n'a pas encore été appliquée, ce que déplore M. St-Arnaud.

Le député de Chambly voit des «problèmes juridiques» dans l'idée de rendre immédiatement saisissables les biens de groupes comme les Hells Angels. Le Code civil garantit le droit à la propriété et la Charte des droits protège la liberté d'association. «Mais je ne suis pas nécessairement contre cette idée. On peut y réfléchir», a-t-il dit.

La ministre de la Justice, Kathleen Weil, a refusé de commenter la proposition. Son collègue de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, n'est pas disponible cette semaine, a-t-on indiqué à son cabinet.

Le ministre fédéral de la Justice n'a pas voulu répondre directement aux questions de La Presse et a référé le journaliste aux dispositions actuelles du Code criminel.