La Cour fédérale du Canada ordonne au gouvernement de Stephen Harper de rapatrier Omar Khadr, détenu à Guantánamo depuis 2002. Une décision que les conservateurs pourraient contester.

Dans un jugement rendu jeudi, le tribunal condamne le refus d'Ottawa de demander le retour au Canada du jeune prisonnier, citoyen canadien, estimant que le gouvernement viole ainsi la Charte des droits et libertés.

«Pour remédier à cette violation des droits, le Canada doit présenter aux États-Unis une demande pour le rapatriement de M. Khadr le plus tôt possible», écrit le juge James O'Reilly. La décision du tribunal explique que le gouvernement fédéral, dans ce dossier, contrevient à des traités internationaux dont il est signataire, notamment la Convention de Genève, mais aussi la Convention internationale des droits de l'enfant.

Aujourd'hui âgé de 22 ans, M. Khadr, né au Canada, n'avait que 15 ans lorsqu'il a été arrêté par l'armée américaine en Afghanistan. Il est entre autres accusé de meurtre et d'activités terroristes. Il est actuellement le seul ressortissant étranger à Guantánamo dont le rapatriement n'a pas été réclamé par son pays d'origine. Or, le président des États-Unis Barack Obama a, dès son arrivée au pouvoir, suspendu les procédures judiciaires en cours et décrété la fermeture de ce centre de détention controversé d'ici un an.

Interrogé à la Chambre des communes, le premier ministre Harper s'est empressé d'indiquer que son gouvernement examinerait attentivement la décision de la Cour, mais n'excluait pas d'interjeter appel. «À nos yeux, les faits n'ont pas changé», a-t-il dit.

Son ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a par la suite renchéri en affirmant que le gouvernement allait «très sérieusement examiner la possibilité d'en appeler de cette décision».

Les conservateurs ont toujours soutenu que le jeune Khadr devait être jugé par les autorités américaines, qui avaient procédé à son arrestation, compte tenu de la gravité des crimes qui lui sont reprochés.

L'opposition proteste

Les partis de l'opposition à Ottawa, qui réclament depuis des mois, voire des années, le retour du jeune prisonnier pour qu'il soit jugé au Canada, se sont insurgés contre la possibilité que le gouvernement interjette appel.

«C'est complètement insensé, a lancé le chef du Bloc, Gilles Duceppe. Le jugement est très sévère, disant non seulement qu'il (le gouvernement) contrevient à la Convention des droits des enfants, mais également qu'il pourrait être complice de torture. Guantánamo va fermer. Il va faire quoi M. Harper, il va l'envoyer sur la Lune, Omar Khadr?»

Même son de cloche au Parti libéral. «Le jugement est clair. Le processus judiciaire aux États-Unis en ce qui concerne l'enfant soldat est vicié, a souligné la députée montréalaise Marlene Jennings. Le gouvernement a une obligation légale de demander au gouvernement américain de rendre l'enfant soldat Omar Khadr aux autorités canadiennes. Alors que M. Harper prenne une journée pour étudier le jugement, pas de problème. Peut-être qu'il ne lit pas très vite. Mais interjeter appel, je pense que c'est rejeter d'un revers de main un jugement qui est très clair.»

Le leader en Chambre du Parti libéral, Ralph Goodale, a ajouté que le dossier avait assez traîné et qu'il attendait du gouvernement qu'il agisse de façon «expéditive» plutôt que de chercher à gagner du temps en laissant M. Khadr dans «des circonstances inacceptables».

«M. Harper a ignoré la volonté du Parlement, qui a réclamé le rapatriement, il a ignoré les lois internationales et les précédents établis par d'autres pays et maintenant il se prépare à ignorer la Cour fédérale, a pour sa part dénoncé le chef du NPD, Jack Layton. Nous pensons qu'il doit rapatrier M. Khadr au Canada pour que, si des procédures légales doivent être entreprises, elles soient entreprises ici. Tout le monde comprend ça, sauf le premier ministre.»

La décision de la Cour fédérale démontre, selon lui, «que la majorité à la Chambre des communes avait raison de réclamer que M. Harper respecte les lois internationales».

C'est la deuxième fois en deux mois que la cour fédérale rabroue le gouvernement Harper sur sa piètre gestion de ses ressortissants détenus à l'étranger. En mars, le tribunal avait estimé qu'Ottawa se devait d'offrir un soutien consulaire à Ronald Allen Smith, détenu dans le couloir de la mort d'une prison du Montana depuis 25 ans, reconnu coupable du meurtre de deux hommes en 1983.