Faisant fi de l'opposition de plusieurs provinces, dont le Québec, les conservateurs reviennent à la charge avec leur projet de loi pour réformer le Sénat.

Le ministre d'État pour la réforme démocratique, Steven Fletcher, ainsi que les sénateurs Marjory LeBreton et Michel Rivard, ont annoncé jeudi le dépôt d'un projet de loi limitant le mandat des nouveaux sénateurs à huit ans, sans possibilité de renouvellement.

Il s'agit d'un projet cher à Stephen Harper qui juge le Sénat, dans sa forme actuelle, antidémocratique. Cela ne l'a cependant pas empêché de nommer 18 nouveaux sénateurs à la fin de l'année dernière.

«Les sénateurs peuvent actuellement détenir leur siège pour aussi longtemps que 45 ans. C'est contraire aux idéaux démocratiques des Canadiens», a soutenu le ministre Fletcher.

Selon le projet de loi, les 18 sénateurs récemment nommés par M. Harper devront eux-aussi tirer leur révérence après avoir siégé huit ans, contrairement à ceux désignés avant les élections du 14 octobre 2008.

Le raccourcissement du mandat des sénateurs serait le premier pas d'une série de réformes avec lesquelles les conservateurs s'apprêteraient à aller de l'avant dans les semaines suivantes, dont celle de rendre l'élection des sénateurs nécessaire.

Pour le sénateur libéral du Québec, Serge Joyal, les conservateurs n'ont rien appris des deux autres tentatives similaires qu'ils ont faites par le passé. Le Québec, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador ont déjà indiqué que toute réforme du Sénat nécessitait d'abord et avant tout leur aval.

«La permission des provinces est essentielle à la modification du Sénat», a fait valoir le sénateur Joyal, qui croit que le gouvernement devrait d'abord demander à la Cour suprême du Canada son avis sur la constitutionnalité de l'action unilatérale d'Ottawa.

Étrangement, le sénateur conservateur Michel Rivard semble lui-aussi être de cet avis, mais uniquement pour ce qui concerne la phase 2 de la réforme sénatoriale.

«Pour l'autre partie, soit celle d'avoir des sénateurs élus, nous aurons à ouvrir la Constitution avec l'accord de sept provinces représentant 50 pour cent de la population», a-t-il indiqué en entrevue téléphonique juste après la conférence de presse.

Cette opinion est bien différente de ce qu'avaient prétendu les conservateurs par le passé, lorsqu'une telle législation avait été envisagée.

«C'est de juridiction fédérale. Ce gouvernement a été élu plusieurs fois avec cette plateforme. Nous avons le mandat de le faire et c'est exactement ce nous allons faire», a répété M. Fletcher jeudi.

Le sénateur Rivard, qui est un ancien député péquiste, a également contredit ses collègues sur l'imminence de l'introduction d'un projet de loi sur l'élection des sénateurs. La sénatrice LeBreton prétend que les prochaines étapes auront lieu dans un futur rapproché, alors que pour M. Rivard, le terreau est loin d'être fertile à cela.

«Tout le monde sait que maintenant, avec la crise (économique), ce n'est pas le temps de parler de changements constitutionnels ou de choses comme ça», a-t-il noté.

Selon Mme LeBreton et M. Fletcher, M. Rivard faisait peut-être référence à l'élection directe des sénateurs plutôt qu'à une élection dite «consultative», où le premier ministre nommerait les sénateurs, mais seulement une fois après avoir sondé les électeurs. Cette deuxième option est ce que souhaitent proposer les conservateurs et ils estiment que cela ne nécessiterait pas de modification constitutionnelle.

En mai 2007, le gouvernement de Jean Charest avait déposé un mémoire dans lequel il avait demandé à Ottawa de suspendre ses initiatives pour modifier le Sénat «aussi longtemps que le gouvernement fédéral projette de transformer unilatéralement la nature et la vocation du Sénat».

Le dernier projet de loi présenté à cet effet par les conservateurs est mort au feuilleton avec le déclenchement des élections. Celui déposé jeudi par la sénatrice LeBreton pourrait bien connaître le même sort, puisque dans un contexte de gouvernement minoritaire, il est plus que probable que les Canadiens soient appelés aux urnes avant la fin de l'année.

L'annonce d'une réforme du Sénat survient alors que le quotidien Le Devoir révélait jeudi matin que de nombreux sénateurs envisageraient, en coulisse, de se désaffilier en bloc de leur parti politique en devenant indépendants. Cinquante-six des 105 sièges du Sénat sont occupés par des libéraux, 38 sont détenus par des conservateurs, trois par des progressistes-conservateurs, cinq par des indépendants et trois sièges demeurent vacants.