Le gouvernement Harper a déposé hier le projet de loi C-35, qui permettrait aux victimes d'actes terroristes d'intenter des poursuites en dommages contre les terroristes ainsi que les organisations ou les pays qui les soutiennent.

La mesure législative, qui serait rétroactive à 1985, soit l'année des attentats d'Air India, s'est toutefois attiré des critiques. Plusieurs croient entre autres que le moyen choisi par Ottawa serait discriminatoire.

Le gouvernement souhaite en effet limiter le nombre de pays assujettis à la Loi sur l'immunité des États en permettant au ministre des Affaires étrangères et à celui de la Sécurité publique de dresser une liste d'exceptions. Or, cette façon de faire limiterait la possibilité pour une victime d'acte terroriste de poursuivre un pays qui a soutenu cet acte au seul cas où le pays en question serait inscrit sur la liste du gouvernement.

François Larocque, professeur de droit international à l'Université d'Ottawa, y voit une manoeuvre politique inacceptable et surtout, très risquée sur le plan des relations diplomatiques et commerciales du Canada. Selon lui, il aurait été beaucoup plus fidèle aux principes du droit international d'établir une exception à la Loi sur l'immunité des États, qui aurait touché tous les pays impliqués dans le soutien ou la promotion du terrorisme, et de laisser les tribunaux juger au cas par cas.

«Le principe, c'est que le terrorisme est contre la loi; c'est contre le droit international, peu importe qui le fait, que ce soit le Canada, Cuba, la Syrie ou la Russie», a souligné le professeur lors d'un entretien avec La Presse.

Le ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, a justifié son initiative en disant que le gouvernement devait empêcher les poursuites abusives. «C'est en partie pour éviter plusieurs poursuites judiciaires contre des États qui ne soutiennent pas le terrorisme, mais que des gens voudraient intenter pour des motifs politiques», a-t-il fait valoir.

Le ministre a ajouté que de donner aux tribunaux la responsabilité de décider si un État a favorisé un acte terroriste placerait un fardeau trop lourd sur les épaules des victimes qui tentent de prouver l'implication d'un gouvernement étranger.

Il n'a pas voulu dire quels pays pourraient faire partie de cette liste.

Autre projet de loi

De son côté, l'ancien ministre libéral de la Justice, Irwin Cotler, a abondé dans le même sens que le professeur de l'Université d'Ottawa.

«Nous ne voulons pas que cette législation soit organisée autour d'une approche du type axe du mal», a-t-il dit.

M. Cotler entend présenter cette semaine un projet de loi au Parlement qui, s'il est adopté, exposera tous les pays aux poursuites de victimes d'actes terroristes - sauf ceux avec lesquels le Canada a signé un traité d'extradition.

«Ces pays sont présumés avoir un système judiciaire indépendant, un processus juste, et respecter la primauté du droit», a-t-il justifié, précisant que dans ces situations, les victimes auraient toujours la possibilité de poursuivre ces États sur place.

Actuellement, une cinquantaine de traités d'extradition sont en vigueur entre le Canada et un autre pays, dont les États-Unis et Israël.

Il est à prévoir que C-35 passe au moins la deuxième lecture à la Chambre des communes et soit étudié en comité parlementaire, puisque le Bloc québécois et le NPD se sont dits favorables au principe de la loi, bien qu'ils soient préoccupés par certains détails.

Difficile à appliquer?

Depuis 1996, les États-Unis ont soustrait quatre pays à l'immunité en matière de terrorisme: Cuba, l'Iran, le Soudan et la Syrie.

Or, jusqu'ici, seulement 2% des victimes qui ont eu gain de cause contre un État seraient parvenues à obtenir compensation.

Le projet de loi présenté hier tenterait de régler ce problème en permettant au gouvernement de déterminer lesquels des actifs d'un pays qui se trouvent en sol canadien sont saisissables.

«Nous espérons qu'il y aura un plus haut niveau de paiement qu'aux États-Unis, mais c'est une réalité dans n'importe quel type de poursuite judiciaire», a déclaré M. Van Loan.

Par ailleurs, le Centre canadien pour la justice internationale, qui travaille de concert avec Amnistie internationale, a demandé au gouvernement hier d'étendre les mesures envisagées à la torture, aux génocides, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. Le ministre n'a pas répondu à cette demande.