Les sessions parlementaires, tant à Ottawa qu'à Québec, ont été mouvementées depuis la reprise des travaux, l'hiver dernier. Les crises et les controverses ont été nombreuses. C'est maintenant l'heure des bilans, en attendant la reprise des hostilités, l'automne prochain.

Les députés conservateurs et leurs adversaires libéraux, bloquistes et néo-démocrates ont bombé le torse cette semaine devant les caméras alors qu'on évoquait la possibilité d'élections en juillet. Tous se disaient prêts à l'éventualité d'une campagne électorale si le gouvernement Harper était défait aujourd'hui à l'occasion du vote de confiance sur les crédits budgétaires.

Mais en privé, les députés de toutes les allégeances ont poussé un soupir de soulagement mercredi en apprenant que le premier ministre Stephen Harper et le chef libéral Michael Ignatieff avaient réussi à dénouer la crise qui risquait de plonger le pays en campagne électorale pour la quatrième fois en cinq ans. D'autant plus que les Canadiens, presque unanimement, ne voulaient pas d'élections.

L'entente entre les deux chefs est loin d'être révolutionnaire - la création d'un comité bipartisan pour étudier les réformes à apporter au programme de l'assurance emploi et l'octroi d'une journée de l'opposition au Parti libéral deux jours après le dépôt du rapport dudit comité le 28 septembre -, mais elle permet de clore une session parlementaire riche en rebondissements.

Elle impose également une trêve de trois mois entre les différents protagonistes avant la reprise des hostilités à la mi-septembre. Ces hostilités déboucheront vraisemblablement sur des élections en novembre, les libéraux n'ayant pas caché leur intention de déposer une motion de censure envers le gouvernement minoritaire de Stephen Harper à la première occasion à l'automne.

Fin de la lune de miel

Devenu chef du Parti libéral sans effusion de sang, en décembre, Michael Ignatieff a réussi à redonner à ses troupes l'espoir qu'elles reprendront bientôt le pouvoir. Sous sa direction, le Parti libéral a réussi à effacer rapidement la dette de quelque deux millions de dollars de la dernière campagne électorale. Les troupes sont aussi plus unies que jamais et les donateurs se font plus nombreux et plus généreux.

Mieux encore, le Parti libéral détient depuis trois mois une légère avance sur le Parti conservateur dans les intentions de vote à l'échelle nationale, ce qui ne s'était pas vu depuis le début de la campagne électorale de 2005-2006.

Mais s'il a surfé sur une vague de sympathie depuis janvier, Michael Ignatieff a vu sa longue lune de miel prendre fin de manière abrupte cette semaine. En brandissant la menace de renverser le gouvernement Harper lundi s'il ne se pliait pas à quatre conditions d'ici vendredi - une réforme de l'assurance emploi, un plan pour pallier la pénurie d'isotopes médicaux, un plan pour rétablir l'équilibre budgétaire et une description exhaustive des dépenses réalisées par Ottawa pour relancer l'économie - le chef libéral a voulu jouer au matamore pour éviter les comparaisons avec son prédécesseur, Stéphane Dion.

Mais il a vite battu en retraite le même jour en accordant des entrevues aux principaux réseaux de télévision du pays. Et il a pris la première porte de sortie offerte par Stephen Harper - une rencontre au sommet pour discuter du programme de l'assurance emploi - pour s'extirper de son piège après que le premier ministre eut décrit les conditions du chef libéral d'imprécises. En bout de piste, il n'a pas obtenu des concessions du gouvernement sur ses demandes. Cette stratégie du chef libéral a été tournée en ridicule non seulement par le NPD et le Bloc québécois, mais aussi par la majorité des observateurs de la scène politique.

«Auparavant, nous avions le professeur Dion. Maintenant nous avons le professeur Ignatieff», a lancé le commentateur politique Jean Lapierre, ancien ministre des Transports dans le gouvernement libéral de Paul Martin.

«Michael Ignatieff a semé un gros doute au sujet de son jugement politique dans la tête des plusieurs libéraux cette semaine en agissant comme il l'a fait», a affirmé un libéral influent sous le couvert de l'anonymat.

Le chef libéral - qui n'hésite pas à critiquer les failles du gouvernement Harper, mais tarde à expliciter ce qu'il ferait de différent s'il était aux commandes à Ottawa - aura besoin de l'été pour se ressaisir avant la bataille électorale attendue à l'automne.

Note encourageante

Pour les conservateurs, cette session souvent acrimonieuse se termine sur une note encourageante. Aux yeux de certains d'entre eux, Stephen Harper a continué la mutation politique qu'il a entreprise en décembre après avoir vu son gouvernement minoritaire frôler la mort à la fin de 2008.

En négociant un accord sans faire de véritables concessions sur le fond, Stephen Harper voulu mettre en évidence des qualités qui lui ont fait défaut l'an dernier. Décrit comme un homme dogmatique et intransigeant durant la crise parlementaire de novembre dernier, le premier ministre a fait preuve de retenue dans ses discussions avec Michael Ignatieff.

«Durant la crise parlementaire de novembre, M. Harper est passé pour un homme intransigeant. Nous venions d'être élus. Nous sommes un gouvernement minoritaire mais nous n'avons pas agi comme un gouvernement minoritaire en respectant les autres partis l'an dernier. Mais cette semaine, il est apparu comme un homme conciliant prêt à collaborer. En tenant trois rencontres, avec M. Ignatieff, il a démontré qu'il sait écouter. Et grâce à lui, nous n'avons pas d'élections, comme le souhaitent les Canadiens», a affirmé une source conservatrice.

Le gouvernement Harper a entrepris la session parlementaire le 26 janvier sur les genoux après avoir évité de peu une défaite humiliante aux Communes aux mains d'une coalition formée du Parti libéral et du NPD et soutenue par le Bloc québécois. Cette coalition, menée par Stéphane Dion, a vu le jour après la tentative des conservateurs de couper les subventions aux partis politiques en lors de leur mise à jour économique teintée de rose. Cette coalition était aussi soudée par le désir de voir des mesures robustes pour relancer l'économie canadienne malmenée par la crise mondiale.

Le gouvernement Harper a donc entrepris une spectaculaire métamorphose. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, qui prédisait un léger surplus pour les quatre prochaines années dans sa mise à jour économique, a ouvert le robinet tout grand lorsqu'il a déposé son budget le 27 janvier. Les surplus sont devenus des déficits imposants - 34 milliards de dollars en 2009-2010, disait-il à ce moment-là, une somme qui a été revue à la hausse en mai à 50 milliards. Des milliards de dollars pour financer des projets d'infrastructures dans l'espoir de relancer rapidement l'économie et soutenir les entreprises et les travailleurs en difficulté.

En déposant un budget jugé «libéral», le gouvernement Harper s'est assuré d'obtenir l'appui des libéraux de Michael Ignatieff, un geste qui a fait éclater de manière définitive la coalition entre PLC, le NPD et le Bloc.

Mais ce faisant, Stephen Harper a dû renoncer à ses principes les plus chers - l'intervention minimaliste de l'État dans l'économie, l'équilibre budgétaire à tout prix, entre autres choses - pour assurer la survie de son gouvernement minoritaire.

Nouvelle cible

Durant la dernière session, le Bloc québécois a continué ses attaques contre le gouvernement Harper sur plusieurs dossiers, notamment le programme d'assurance emploi et l'aide au secteur forestier jugée insuffisante.

Mais les troupes souverainistes de Gilles Duceppe ont été contraints de modifier leur cible. L'effondrement des appuis au Parti conservateur au Québec et la montée du Parti libéral font en sorte que leur principal adversaire est désormais Michael Ignatieff dans la province. Le NPD tente pour sa part de tirer son épingle du jeu dans une joute politique qui ne l'avantage pas depuis le changement de garde au Parti libéral.

Les Canadiens ne voulaient pas d'élections en juillet. Soit. Mais tous les partis politiques devront tester leurs slogans et leur machine électorale durant les mois d'été afin de se préparer à la vraie bataille attendue à l'automne.