Le gouvernement de Stephen Harper accepte de se conformer au jugement de la Cour fédérale et devra organiser le retour au pays du Canadien d'origine soudanaise Abousfian Abdelrazik, qui se cache à l'ambassade de Khartoum depuis plus d'un an.

Sans crier gare, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a annoncé que son gouvernement renonçait à faire appel de la décision du juge Russel W. Zinn, qui sommait le ministre des Affaires étrangères de délivrer un passeport d'urgence au ressortissant canadien et d'organiser son retour au pays d'ici le 7 juillet.

«Le gouvernement se conformera à l'ordonnance du tribunal», s'est contenté de répondre le ministre Nicholson aux questions posées par l'opposition en Chambre.

Au bureau du ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, on a indiqué qu'il n'y aurait aucun autre détail qui serait rendu public, hier, sur les modalités du retour de M. Abdelrazik au pays.

En entrevue à CBC, le ministre Cannon a toutefois dit que le gouvernement «prendrait toutes les mesures nécessaires pour ramener M. Abdelrazik», et ce «plus tôt que tard». «Ce sera un citoyen canadien libre. Il pourra faire tout ce qu'il veut», a ajouté M. Cannon.

Dans sa décision rendue le 4 juin, le juge estimait que le droit du ressortissant canadien d'entrer au pays avait été brimé. La Charte des droits et libertés prévoit en effet que «tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir».

Soupçonné d'avoir des liens avec al-Qaeda, M. Abdelrazik avait été arrêté par les autorités soudanaises en 2003, alors qu'il se rendait en visite dans son pays d'origine, pour être ensuite blanchi par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité. Depuis avril 2008, il s'était réfugié à l'ambassade canadienne, à Khartoum, de peur d'être à nouveau arrêté, n'ayant plus de passeport valide et aucun statut au Soudan.

Pressions américaines?

Un document datant de juillet 2006, obtenu par les avocats du ressortissant grâce à la Loi sur la protection des renseignements personnels, suggère que le Canada était prêt, à cette époque, à assurer le retour au pays d'Abousfian Abdelrazik. Des diplomates américains auraient alors réclamé l'aide d'Ottawa pour monter un dossier criminel contre M. Abdelrazik, affirmant manquer de preuves pour pouvoir l'accuser et le juger en sol américain, selon une correspondance faite entre deux hauts fonctionnaires du ministère canadien des Affaires étrangères. Les Américains croient que «si les autorités canadiennes partagent les informations qu'elles détiennent, ça pourrait être suffisant pour que les États-Unis puissent intenter des procédures», explique le courriel envoyé le 19 juillet 2006 par un diplomate canadien à des hauts fonctionnaires du gouvernement et de la GRC.

Talonné par l'opposition depuis le printemps 2008, le gouvernement de Stephen Harper a toujours refusé d'aider M. Abdelrazik à revenir au pays, arguant que le nom du ressortissant canadien se retrouve sur une liste d'interdiction de vol des Nations unies.

Hier, les partis de l'opposition à Ottawa se sont réjouis de la décision du gouvernement de ne pas en appeler du jugement, qui arrive toutefois à la dernière minute, ont-ils rappelé.

«Il n'avait pas d'autre argument et on se devait d'accepter le jugement», a dit le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

«On est contents, mais pourquoi ça a pris si longtemps pour avoir une décision qui était claire depuis le début?» a demandé le chef néo-démocrate, Jack Layton.

En quelques mois, le gouvernement de Stephen Harper a perdu trois causes en Cour fédérale concernant des ressortissants canadiens à l'étranger. En mars, dans le cas de Ronald Allen Smith, détenu dans une prison du Montana depuis 25 ans, reconnu coupable d'un double meurtre en 1983, le gouvernement a accepté de se conformer au jugement et d'offrir un soutien consulaire au prisonnier.

En avril, le gouvernement en a toutefois appelé de la décision concernant le rapatriement d'Omar Khadr, citoyen canadien emprisonné au controversé centre de détention de Guantánamo.

«La décision du juge, dans le cas d'Abdelrazik, était très claire. Mais la décision du juge dans la cause de M. Khadr est tout aussi claire et j'aurais espéré que le gouvernement l'accepte et s'y conforme», a déclaré le critique libéral en affaires étrangères, Bob Rae.