L'intérêt porté par les plus hautes instances du gouvernement fédéral à un mémoire de maîtrise sur l'évolution de l'appui à la souveraineté, rédigé par un étudiant en sociologie de l'Université de Montréal, mystifie son auteur.

Grâce à la Loi sur l'accès à l'information, La Presse a obtenu une note d'information classée «secrète» et envoyée par le greffier sortant du Conseil privé, Kevin Lynch, au premier ministre Stephen Harper, vers la fin du mois de juin 2008.

Cette note résume le mémoire de maîtrise publié quelques mois plus tôt par François Yale, alors étudiant à l'UdeM, et intitulé L'évolution à l'appui à la souveraineté du Québec: effets de la formulation de la question et effets de contexte.

M. Yale, dirigé par la professeure et spécialiste en sondages Claire Durand, a analysé plus de 800 sondages sur la séparation du Québec, menés depuis près de 35 ans. Il s'est penché sur les mots choisis ainsi que sur une douzaine d'événements précis pour mesurer la fluctuation de l'appui à la séparation. Il a entre autres tenté de déterminer l'impact des termes souveraineté-partenariat, souveraineté, indépendance et séparation dans le libellé des questions.

Jusqu'au premier ministre

La note d'information obtenue par La Presse indique que le document a circulé dans les plus hautes sphères du gouvernement fédéral, en commençant par son plus haut fonctionnaire, Kevin Lynch, et en passant par le premier ministre du Canada, le sous-ministre aux Affaires intergouvernementales du moment, Louis Lévesque, et plusieurs autres fonctionnaires trônant au sommet de la hiérarchie bureaucratique.

Pourquoi y avoir accordé autant d'importance? Selon la professeure Durand, il s'agit de l'étude statistique la plus complète qui ait été faite sur ces questions et sur une aussi longue période de temps à ce jour au Québec. «C'est la première analyse longitudinale de l'évolution de l'appui à la souveraineté du Québec depuis les années 70», a-t-elle expliqué.

Certains résultats, comme le fait qu'une hausse soudaine et éphémère de l'appui à la souveraineté ait suivi la publication du  rapport Gomery sur le scandale des commandites, peuvent paraître évidents, a concédé la chercheuse. «Ce n'est pas nouveau en soi. Mais c'est la première fois que c'est démontré statistiquement.»

François Yale, 31 ans, qui travaille maintenant dans le secteur public québécois, a quand même été surpris de cet intérêt. «Ça me surprend. De un, parce que c'est un mémoire de maîtrise et de deux, parce qu'il n'y a rien de nouveau dans ce qui a été écrit. Ce n'est pas comme si on avait découvert quelque chose d'exceptionnel et qu'ils pouvaient l'utiliser...»

«Préférence pour une question claire»

La note d'information elle-même n'est que de peu d'assistance pour répondre aux questionnements de M. Yale. En effet, toute la section réservée aux commentaires du gouvernement sur les conclusions du mémoire dans la note d'information a été censurée. L'un des passages les plus révélateurs dans le contenu laissé intact souligne que les chercheurs concluent «que les différentes formulations des options ont eu un réel impact sur les niveaux d'appui à la souveraineté».

«Il y a longtemps que l'on comprend que la terminologie utilisée pour décrire le projet (souverainiste) pourrait avoir un impact substantiel sur le niveau d'appui pour le projet ainsi que sur la compréhension du public. D'où la forte préférence fédérale pour une question claire et explicite», indique le document d'abord envoyé par le directeur général de la section des politiques stratégiques et de la recherche au BCP, Paul Aterman.

Le Conseil sert de vaste secrétariat au bureau du premier ministre et compte une section qui garde un oeil sur ce qui se passe dans le reste de la fédération. Personne là-bas n'a été en mesure de donner plus de détails sur les raisons de cet intérêt, jeudi dernier.

Quant au premier ministre, son porte-parole, Dimitri Soudas, a précisé que son patron se faisait transmettre beaucoup de documents dans une journée et qu'il lui était impossible de dire s'il avait réellement pris connaissance de cette note d'information précise. «C'est un document de maîtrise qui est disponible publiquement et donc le grand public a accès autant à cette étude que le premier ministre et son bureau», a-t-il ajouté.

Une crise pour la souveraineté?

Par ailleurs, fait intéressant: même s'il a été rédigé il y a plus d'un an, le mémoire rejoint l'actualité en ce sens que son auteur s'est penché sur l'impact de certaines crises politiques sur l'appui à la souveraineté, comme l'échec de l'accord du lac Meech, celui de Charlottetown ou le scandale des commandites.

Récemment, l'ancien premier ministre péquiste Jacques Parizeau a insisté sur l'importance des crises pour créer les conditions favorables au lancement d'un référendum.

La conclusion de M. Yale: certains événements ont eu un impact sur cet appui, mais pas tous et pas nécessairement dans le sens ou l'on s'y attendrait. Parmi la demi-douzaine d'événements examinés, seuls Meech et le scandale des commandites ont réussi à avoir une influence mesurable, note le chercheur. «L'échec de Meech entraîne un changement de direction dans l'évolution de l'appui», a-t-il constaté. Or, «celui-ci était en hausse jusqu'à l'été 1990 et a commencé à chuter par suite de l'échec de l'accord», a conclu l'étudiant dans son mémoire.

- Avec William Leclerc