La décision d'Ottawa de contester devant la Cour suprême du Canada le jugement lui ordonnant de demander le rapatriement d'Omar Khadr fait grincer des dents les avocats du jeune Canadien coincé à Guantanamo, même si elle est loin de les surprendre.

Le bureau du ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a confirmé mardi que le gouvernement fédéral interjettera appel auprès du plus haut tribunal pour éviter d'avoir à ramener au pays l'homme de 22 ans enfermé à la prison américaine de Guantanamo depuis près de sept ans.

Dans une déclaration émanant du bureau du ministre, on rappelle la position traditionnelle des conservateurs, à savoir qu'Omar Khadr «fait face à des accusations graves», soit celle d'avoir tué un soldat américain à l'aide d'une grenade en Afghanistan, alors qu'il était âgé de 15 ans.

Pour Nate Whitling, l'un des avocats canadiens du jeune Torontois, cette décision des conservateurs démontre un manque de compassion, spécialement parce qu'Omar Khadr est considéré comme un enfant soldat par le droit international, et parce qu'il a subi des mauvais traitements en prison.

«Il y avait de fortes chance qu'ils demandent le droit d'aller en appel. On espérait qu'ils ne le fassent pas, mais ce n'était pas une grande surprise lorsqu'on a appris la nouvelle», a commenté M. Whitling.

Omar Khadr est le seul ressortissant d'un pays occidental encore emprisonné à Guantanamo.

«Cela prouve que le gouvernement Harper n'a tout simplement pas de compassion pour les Canadiens dont les droits sont violés à l'étranger, et ce, même dans les cas où le gouvernement canadien a été impliqué dans ces violations», a conclu M. Whitling.

Il y a deux semaines, la Cour d'appel fédérale a, dans une décision majoritaire à deux juges contre un, maintenu une ordonnance forçant Ottawa à déposer une requête pour le retour au pays du jeune Canadien.

C'était alors la deuxième fois qu'Ottawa se faisait taper sur les doigts dans ce dossier. Dans un jugement rendu en avril, la Cour fédérale avait indiqué que de laisser l'homme dans la prison militaire américaine, où il a été maltraité, violait ses droits fondamentaux.

Il reviendra désormais à la Cour suprême de décider si elle se penchera ou non sur le dossier. Si elle décide de rejeter la demande du fédéral, elle n'aura pas à se justifier, et Ottawa devra en principe faire les démarches pour demander le retour du prisonnier au pays.

Les partis d'opposition à Ottawa ainsi que des groupes de défense des droits de la personne comme Amnistie International réclament depuis longtemps le rapatriement immédiat d'Omar Khadr.

«C'est inquiétant d'avoir un premier ministre qui ne vit que par dogme (...). C'est une question de droit, c'est une question de principe, c'est une question de respect de la Charte des droits et libertés: il n'y a pas de citoyens de deuxième classe», a soutenu le libéral Denis Coderre.

La bloquiste Francine Lalonde croit pour sa part que les conservateurs sont globalement motivés par des raisons idéologiques en ce qui concerne le sort des Canadiens à l'étranger.

Quant au néo-démocrate Joe Comartin, il s'étonne de voir le gouvernement faire preuve de «masochisme» et se demande combien de fois il devra se faire dire de se conformer à la Charte canadienne des droits et libertés.

Les conservateurs ont toujours refusé de présenter une demande de rapatriement, puisqu'ils souhaitent que ce dossier demeure entre les mains de la justice des États-Unis.

Dans son communiqué, le bureau du ministre Cannon rappelle d'ailleurs que la décision des autorités américaines à l'égard de M. Khadr n'était pas encore connue.

«Comme vous le savez, l'administration (de Barack) Obama a récemment décidé de fermer Guantanamo, de mettre fin à la procédure judiciaire et aussi d'évaluer tous les cas», peut-on lire dans la déclaration.

«Nous avons intérêt à attendre l'issue des décisions prises par le président Obama», est-il noté.

Le communiqué se termine par cette phrase : «Nous ne commenterons (pas) des scénarios hypothétiques». Bien des choses demeurent en effet en suspens. D'une part, la Cour suprême pourrait refuser de se pencher sur le dossier; de l'autre, le délai avant des audiences pourrait être tel que d'importants développements de l'autre côté de la frontière pourraient survenir entretemps.