Le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, a tenté de rétablir l'unité au sein de son parti hier en offrant à l'ancien ministre de la Justice, Martin Cauchon, de porter la bannière libérale dans la circonscription de Jeanne-Le Ber aux prochaines élections.

Mais le principal intéressé a confié à des proches qu'il n'avait pas l'intention d'accepter cette offre, selon des informations obtenues par La Presse hier soir. M. Cauchon souhaite effectuer un retour en politique uniquement s'il peut être candidat libéral dans Outremont, une circonscription qu'il a représentée à la Chambre des communes pendant 11 ans.

 

Mais M. Ignatieff a déjà fait savoir cette semaine qu'Outremont, un bastion libéral tombé aux mains du néo-démocrate Thomas Mulcair en septembre 2007, était réservé à une femme d'affaires de la région de Montréal, Nathalie Le Prohon.

Ce faisant, M. Ignatieff a appuyé la décision de son lieutenant politique au Québec, Denis Coderre, qui tient mordicus à accorder Outremont à une candidate de prestige. Mais certains y voient plutôt une manoeuvre de M. Coderre pour empêcher le retour de M. Cauchon, les deux hommes ayant des ambitions de diriger le Parti libéral un jour.

Plusieurs libéraux ont dénoncé cette décision, dont le député libéral influent de Toronto Bob Rae, ancien adversaire à la direction de M. Ignatieff. M. Rae a qualifié d'inacceptable cette manoeuvre visant à écarter un ancien ministre de la Justice. «Martin Cauchon était un ministre de la Justice remarquable et il a défendu les valeurs libérales durant toute sa carrière politique. S'il veut effectuer un retour en politique, on doit lui faire une place», a affirmé M. Rae.

D'anciens collaborateurs de Jean Chrétien ne se sont pas gênés pour faire savoir à M. Ignatieff et à Denis Coderre qu'ils avaient commis une grave erreur en écartant d'une manière aussi cavalière la candidature de Martin Cauchon, selon des informations obtenues par La Presse hier. M. Chrétien lui-même est intercédé en faveur de son ancien ministre de la Justice pour qu'il puisse faire un retour dans Outremont, mais sans succès jusqu'ici.

Des députés libéraux incrédules ont aussi indiqué en privé avoir l'intention de soulever cette affaire à la prochaine réunion du caucus libéral mercredi prochain si un compromis n'est pas trouvé d'ici là. Ces mêmes députés sont aussi outrés de la conduite du lieutenant politique Denis Coderre dans cette affaire et exigent qu'il soit rappelé à l'ordre.

La grogne au sein du Parti libéral a forcé M. Ignatieff à corriger le tir en téléphonant hier à Martin Cauchon pour lui offrir la circonscription de Jeanne-Le Ber, détenue par le bloquiste Thierry Saint-Cyr depuis 2006.

«M. Ignatieff souhaite que M. Cauchon soit candidat pour le Parti libéral aux prochaines élections. La balle est maintenant dans son camp», a indiqué Jean-François del Torchio, porte-parole de Michael Ignatieff.

M. Cauchon, qui souhaite faire un retour en politique cinq ans après avoir tiré sa révérence, n'avait pas encore indiqué publiquement hier soir s'il acceptait la proposition de M. Ignatieff. Mais selon certaines sources, il écarte cette option puisqu'il demeure dans Outremont. Située dans l'île de Montréal, la circonscription de Jeanne-Le Ber comprend notamment les secteurs de Verdun, Pointe-Saint-Charles et de L'Île-des-Soeurs.

En matinée, M. Ignatieff avait indiqué avoir entrepris des discussions avec M. Cauchon, qui a été le lieutenant politique de Jean Chrétien au Québec dans le dernier mandat de l'ancien premier ministre.

«Nous sommes en discussion avec M. Cauchon afin qu'il puisse se rallier à notre équipe, et je suis très optimiste sur les résultats. Mais ces discussions se poursuivent», a dit M. Ignatieff au cours d'un point de presse à Burlington, en Ontario.

Hier après-midi, M. Coderre a fait savoir sur sa page personnelle du site de réseautage social Facebook que l'idée d'offrir Jeanne-Le Ber à Martin Cauchon venait de lui.

«Sur ma recommandation et celle de notre équipe du Québec, Michael Ignatieff a offert la circonscription de Jeanne-Le Ber à Martin Cauchon. À suivre», a-t-il écrit.

Certains libéraux croient qu'il serait préférable de permettre à M. Cauchon de revenir dans Outremont et d'accorder Jeanne-Le Ber à Mme Le Prohon.

Mais dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne hier, M. Coderre a laissé entendre que cette offre était à prendre ou à laisser.

«C'est un excellent comté, Jeanne-Le Ber. Ce n'est pas une négociation, ce n'est pas une question d'options. On lui offre le comté et il prendra la décision», a dit M. Coderre.

Selon Peter Donolo, ancien directeur des communications de Jean Chrétien, cette affaire risque d'avoir des répercussions sur les intentions de vote si elle n'est pas réglée rapidement.

«Un parti qui ne peut diriger ses propres affaires correctement ne peut convaincre les électeurs qu'il peut gouverner le pays», a dit hier M. Donolo, aujourd'hui partenaire de la firme de sondage Strategic Counsel, dans une entrevue à Power Play sur le réseau CTV Newsnet.