Dix jours avant la démission fracassante de Denis Coderre, les membres québécois du conseil national du Parti libéral du Canada avaient officiellement demandé à Michael Ignatieff de rappeler à l'ordre son ancien lieutenant.

Selon ce qu'a appris La Presse, les représentants québécois digéraient de plus en plus mal certaines décisions de M. Coderre. Le style parfois mordant qu'il utilisait pour imposer ses décisions avait aussi laissé un goût amer dans la bouche de plusieurs d'entre eux. Ses manoeuvres pour barrer la route à Martin Cauchon dans la circonscription d'Outremont ont été la goutte qui a fait déborder le vase.

Les représentants québécois ont donc profité d'une réunion du conseil national du PLC, à Ottawa, le week-end du 19 septembre, pour exiger que l'on inscrive à l'ordre du jour le comportement de M. Coderre.

À l'issue de cette réunion, les quelque 30 membres du conseil national venus des quatre coins du pays ont donné au président du Parti libéral, Alfred Apps, le mandat de discuter du cas de M. Coderre avec Michael Ignatieff.

«Le conseil national a unanimement décidé d'aborder le dossier de M. Coderre avec le chef. Ce n'était pas une cabale de conseillers de Toronto contre M. Coderre. L'initiative est venue des représentants du Québec au conseil national», a affirmé à La Presse une source libérale bien au fait de ce dossier.

Les Québécois Brigitte Garceau, Samuel Lavoie, Marie-Reine Paré Paradis, Robert Fragasso et Johanne Brodeur font partie du conseil national.

Lundi, M. Coderre a annoncé avec fracas qu'il démissionnait de son poste de lieutenant politique au Québec après que son chef eut annulé sa décision de réserver la circonscription d'Outremont à une femme d'affaires de Montréal, Nathalie Le Prohon. Cédant à la grogne qui prenait de l'ampleur au parti, M. Ignatieff a plutôt décidé de permettre à Martin Cauchon de revenir en politique dans Outremont et demandé à Mme Le Prohon de se présenter dans Jeanne-Le Ber.

En annonçant sa démission, M. Coderre a accusé sans ambages les conseillers de Michael Ignatieff à Toronto de tenter de diriger l'aile québécoise du PLC.

Depuis cette sortie, M. Coderre a été discret. Il a brillé par son absence aux Communes et il n'a pas participé à la réunion du caucus hier. Il songe aussi à ne pas prendre part au congrès biennal de l'aile québécoise du PLC, qui doit avoir lieu dimanche à Québec. M. Ignatieff, M. Cauchon et Mme Le Prohon y seront.

M. Coderre pourrait donner encore du fil à retordre à son chef en fin de semaine puisqu'il a été annoncé hier qu'il participera à la populaire émission Tout le monde en parle de Radio-Canada. L'émission, qui est enregistrée le jeudi soir, est diffusée le dimanche soir et obtient des cotes d'écoute qui dépassent le million.

D'autres griefs

Par ailleurs, des militants libéraux ont des griefs à l'endroit de M. Coderre au sujet de l'organisation du congrès de l'aile québécoise. La Constitution du PLC stipule que les membres de l'exécutif et du comité de direction doivent être élus aux deux ans, mais les équipes actuelles sont en poste depuis 27 mois, date du dernier congrès de l'aile québécoise.

Selon les règlements du PLC-Québec, le congrès biennal devrait s'étirer sur trois jours, question de permettre de tenir les votes et de débattre des propositions des membres. Mais le congrès ne durera toutefois qu'une journée, «histoire de gagner du temps», explique-t-on au Parti libéral.

Des sources dans l'aile québécoise reprochaient déjà la semaine dernière à M. Coderre (avant sa démission) d'avoir écourté leur congrès à une seule journée et d'avoir mis le conseil de direction devant un fait accompli à la mi-septembre, deux semaines avant le congrès. «M. Coderre était au téléphone et il nous a dit que ce serait une journée, et c'est ça qui est ça ! Nous n'avons rien décidé et Denis avait organisé le congrès tout seul», résume un libéral bien au fait des tiraillements internes au PLC-Québec.

Des membres du conseil de direction ont alors fait remarquer que les militants doivent recevoir un avis 90 jours avant le congrès, question de préparer la plénière et d'obtenir des candidatures aux postes électifs. «Coderre a répondu qu'il ne voulait pas d'élection contestée, donc, tout était organisé d'avance sans qu'on puisse intervenir», reprend notre source.

«Denis a organisé ça pas mal tout seul, en effet», confirme un autre libéral influent qui a collaboré aux préparatifs du congrès.

Après les incidents des derniers jours, la grande question chez les libéraux du Québec est de savoir si Denis Coderre sera au congrès. «On espère qu'il sera là. Ça ne sera pas facile pour lui, mais qu'il arrête de bouder, nous voulons tourner la page», ajoute notre source.