Le ministre de la Défense Peter MacKay maintient dur comme fer qu'il n'a jamais eu connaissance des rapports d'un ex-diplomate sur des cas probables de torture de détenus afghans, mais ses affirmations ne calment en rien les partis d'opposition qui sont convaincus que le gouvernement Harper a tenté de cacher des choses au Parlement et aux Canadiens.

A la lumière des plus récentes révélations d'un ancien diplomate qui a révélé avoir averti ses supérieurs dès 2006 de probables de torture de détenus afghans transférés par des soldats canadiens, les trois partis d'opposition s'entendent tous pour dire que le premier ministre Stephen Harper et M. MacKay, anciennement ministre des Affaires étrangères aujourd'hui à la Défense nationale, devront répondre à une série de questions.

Qu'il s'agisse d'une enquête publique ou d'une enquête menée par un comité parlementaire, les conservateurs devront s'expliquer tôt ou tard, ont certifié jeudi les porte-parole des partis.

L'ancien diplomate, Richard Colvin, a révélé mercredi, dans le cadre de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CEPPM), qu'il avait prévenu plus de 70 personnes, au ministère des Affaires étrangères, à celui de la Défense, ainsi que des hauts dirigeants de l'armée en poste à Kandahar et à Ottawa, qu'il y avait des problèmes «sérieux» et «alarmants» quant au traitement des prisonniers afghans transférés aux autorités afghanes par les Canadiens.

M. Colvin affirme avoir envoyé plusieurs rapports, au cours de son séjour de 18 mois en Afghanistan.

Mais M. MacKay a réitéré sa position des deux dernières années, en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne jeudi, certifiant n'avoir jamais été au courant.

«Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai pas vu ces rapports, ni dans le cadre de mes fonctions de ministre de la Défense nationale, ni auparavant comme ministre des Affaires étrangères», a-t-il fait valoir, arguant également qu'il ne connaissait pas M. Colvin.

«Je ne peux pas parler au nom d'autres ministres», a-t-il ajouté.

Les révélations de M. Colvin ont profondément choqué l'opposition. Car lorsque des allégations de torture ont commencé à être soulevées à la Chambre des communes, le premier ministre et son ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. MacKay, ont maintenu pendant des mois qu'ils n'avaient aucune information crédible à cet effet.

Ils ont fait ces déclarations à partir du printemps 2007, soit un an après que M. Colvin eut envoyé le premier de ses rapports à ses supérieurs.

Les avocats du gouvernement ont d'ailleurs tenté de l'empêcher de témoigner devant la CEPPM - qui se penche sur les allégations de torture de détenus afghans -, évoquant que le contenu de son affidavit de 16 pages pourrait être une menace à la sécurité nationale, mais en vain.

Du côté du cabinet du premier ministre, il a été impossible de connaître l'explication de M. Harper. Son porte-parole a insisté pour dire que le bureau du ministre MacKay parlerait au nom du gouvernement.

Qu'à cela ne tienne, même si nul ne sait pour le moment si le ministre MacKay, certains de ses homologues ou M. Harper, étaient au courant du contenu des rapports de M. Colvin, le contraire paraît fort peu probable, selon l'opposition.

Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de défense, Jack Harris, a d'ailleurs réclamé la tenue d'une enquête publique, afin de découvrir qui était au courant des rapports et à quel moment ils en ont pris connaissance.

«Je ne peux pas imaginer qu'ils (les ministres conservateurs) ne le savaient pas. Je ne suis pas prêt à faire cette accusation, mais j'aimerais poser la question directement au premier ministre et à M. MacKay», a fait valoir M. Harris, en point de presse jeudi matin.

«Et s'ils le savaient, ils ont trompé la Chambre et la population du Canada», a-t-il tranché.

Les porte-parole de l'opposition sont en outre unanimes pour blâmer le gouvernement Harper d'avoir voulu camoufler des informations dans ce dossier. Depuis le début des audiences de la CEPPM, le gouvernement a tenté de museler des témoins et n'a fourni aucun des documents réclamés par la commission depuis un an.

«Selon moi, il y a un «cover up'. Quand on s'obstine à ce point-là à ne rien révéler, c'est parce qu'on a beaucoup de choses à cacher», a estimé le porte-parole du Bloc québécois pour la défense, Claude Bachand.

Et à l'entendre, les conservateurs ne sont pas au bout de leur peine. Les libéraux ont déposé une motion la semaine dernière pour convoquer des témoins au comité parlementaire de la Défense nationale, et le NPD et M. Bachand prévoient faire de même, et ce, dès la semaine prochaine dans le cas du bloquiste.

Le critique libéral, Ujjal Dosanjh, va même jusqu'à réclamer la démission du ministre MacKay et de son collègue de la Justice, Rob Nicholson, les accusant d'entrave à la justice, en raison de la façon dont le gouvernement a collaboré avec la CEPPM.

«Ce gouvernement a systématiquement fait preuve d'entrave à la justice devant cette commission», a-t-il déploré.