Qu'il le veuille ou pas, le Canada sera appelé tôt ou tard à jouer un rôle important dans l'adoption des nouvelles règles de succession au trône d'Angleterre envisagées par le gouvernement britannique.

Le premier ministre de la Grande-Bretagne, Gordon Brown, souhaite moderniser les règles de succession, vieilles de trois siècles, afin d'éliminer certaines discriminations qui existent toujours à l'endroit des catholiques et des femmes.

L'une de ces règles jugées anachroniques empêche tout prétendant ayant marié un catholique d'accéder au trône. Une autre est jugée discriminatoire envers les femmes puisqu'elle interdit à une fille aînée de devenir reine si elle a un frère cadet.

Selon l'expert constitutionnel Benoît Pelletier, ancien ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes dans le gouvernement Charest, l'appui du Canada à ce changement des règles de succession au trône est «incontournable».

En fait, la Grande-Bretagne doit obtenir l'appui de 15 pays membres du Commonwealth, dont font partie le Canada et l'Australie, entre autres, pour mener à bien cette importante réforme.

D'ailleurs, Gordon Brown, qui a fait de cette question l'une de ses priorités au cours des derniers mois, aurait déjà eu des discussions préliminaires à ce sujet avec les premiers ministres canadien et australien, Stephen Harper et Kevin Rudd, selon certains journaux britanniques.

Un porte-parole de M. Harper, Dimitri Soudas, a refusé de dire si M. Brown avait abordé cette question avec le premier ministre canadien au dernier sommet du G8, en Italie. M. Brown avait indiqué avoir l'intention de le faire. «Nous ne commentons pas les discussions privées entre les premiers ministres», a dit M. Soudas.

M. Brown aurait également l'intention de soulever de nouveau cette question à l'occasion du prochain sommet du Commonwealth, prévu à la fin du mois de novembre, à Trinité-et-Tobago.

Pour faire entrer la monarchie dans la modernité, le gouvernement britannique doit amender au moins trois lois, soit le Bill of Rights de 1688, l'Act of Settlement de 1701 et l'Accession Declaration Act de 1910. Un projet de loi devra être adopté au Parlement britannique.

Dans une entrevue accordée à La Presse, M. Pelletier a affirmé que le Canada devra aussi adopter la même loi. «L'appui du Canada est incontournable. Le préambule du Statut de Westminster de 1931 prévoit qu'on ne peut pas changer les règles de succession au trône à moins que les Parlements des dominions soient d'accord. Or, le Canada est l'un de ces dominions», a souligné M. Pelletier.

Le constitutionnaliste, qui a repris l'enseignement à l'Université d'Ottawa depuis qu'il a quitté la politique l'an dernier, a rappelé que le Canada avait dû adopter un arrêté en conseil, en 1936, lorsque le roi Édouard VIII avait abdiqué son trône parce qu'il voulait épouser une Américaine divorcée à deux reprises, Wallis Simpson.

Même si le Statut de Westminster n'a plus qu'une portée conventionnelle au Canada depuis le rapatriement de la Constitution, l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1982 obligerait, selon M. Pelletier, le Canada à adopter une loi ayant pour effet d'inscrire dans le droit canadien les mêmes changements aux règles de succession au trône que ceux apportés par la loi britannique.

D'autant plus que les trois lois britanniques mentionnées ci-dessus font partie du droit canadien depuis leur adoption et que seul le Canada, en tant que pays indépendant membre du Commonwealth, dispose du pouvoir de les amender.

En Grande-Bretagne, on craint que la décision du premier ministre Gordon Brown de modifier les règles de succession au trône ne relance la croisade des mouvements en Australie et au Canada qui préconisent l'abolition de la monarchie.

«C'est une question très complexe qui suscite la controverse et des discussions depuis des décennies, voire des siècles. Nous devons protéger la position de la monarchie et la position de la reine en tant que chef de l'Église de la Grande-Bretagne», avait affirmé M. Brown en mars dernier.

«Mais il y a un enjeu important qui concerne l'exclusion de certaines personnes du droit à la succession et il y a des questions qui doivent être traitées ici mais aussi au sein du Commonwealth», avait-il ajouté.

En Australie, le premier ministre Kevin Rudd se dit ouvertement républicain. Un référendum a déjà eu lieu dans ce pays en 1999 en vue de rompre les liens avec la monarchie. Le Non l'a emporté avec seulement 54,83% et cette question divise encore profondément la population australienne.

Au Canada, le premier ministre Harper est favorable à la monarchie, mais une bonne majorité des Québécois souhaiteraient mettre fin à ce lien avec la Couronne britannique.

Mais Benoît Pelletier ne croit pas que l'adoption d'une telle loi au Canada suscite les passions puisqu'elle viserait à corriger des iniquités envers les femmes et les catholiques.