Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, veut imposer une peine minimale de deux ans de détention pour les criminels reconnus coupable d'une fraude de plus de 1 million $.

Il a cependant été incapable de citer un seul exemple où un fraudeur avait écopé d'une peine inférieure à deux années d'emprisonnement pour un tel délit par le passé.

«Je n'ai pas ces statistiques, mais ce que je fais avec ce projet de loi, c'est de m'assurer qu'il y ait une base», a soutenu le ministre Nicholson dans un hôtel d'Ottawa, interrogé sur les effets concrets qu'aura son projet de loi qu'il entend déposer mercredi au Parlement.

Un peu plus tard, le service des communications de son ministère a fait parvenir une liste de dix cas de fraude excédant 1 million $ au cours des cinq dernières années. Les fraudeurs ont écopé dans la majorité des cas de peines excédant 24 mois ou de peines de deux ans moins un jour.

Comme le projet de loi n'est toujours pas devant les députés, le ministre Nicholson n'a pu en révéler les détails, expliquant que c'était de toute façon très technique. Il a même avoué que le point de presse était bel et bien un exercice de relations publiques, pour mettre, a-t-il dit, de la pression sur les autres partis aux Communes.

«Cela fait partie d'une stratégie globale pour mettre de la pression sur le Parlement», a-t-il convenu.

Pour multiplier l'impact médiatique, les conservateurs ont d'ailleurs peaufiné l'offensive en faisant l'annonce simultanément dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal et Ottawa.

Là où le bat blesse pour les partis d'opposition, c'est que cette «stratégie» médiatique contrevient à l'esprit parlementaire, alors que le contenu des projets de loi doit normalement d'abord être dévoilé à ceux qui devront les voter: les députés.

«C'est un manque de respect que le ministre démontre, de faire des annonces partout, sans déposer un projet de loi qu'on peut étudier», a déploré le chef néo-démocrate, Jack Layton, à la sortie de la période de questions, mardi.

Le projet de loi du ministre Nicholson prévoit que les juges tiennent compte de «circonstances aggravantes», comme les répercussions financières et psychologiques pour les victimes ou le degré de planification de la fraude.

Les magistrats devraient en outre envisager la possibilité d'ordonner aux délinquants de dédommager les victimes de fraude. Mais encore faut-il que ces «criminels à cravate» disposent encore d'avoirs au pays et ne se soient pas réfugiés dans des paradis fiscaux à l'étranger.

La législation proposée ne pourra pas faire grand chose non plus pour les victimes des fraudeurs ayant déjà sévi.

«Ça ne fera pas beaucoup pour nous, c'est trop tard», a admis Mary Coughlan, une victime présumée d'Earl Jones, à Montréal. Elle croit malgré tout que des lois plus strictes empêcheront peut-être d'éviter des situations malheureuses comme celle qu'elle a vécue, ayant perdu toutes ses économies dans cette saga.

Les conservateurs tentent de se présenter comme les champions de la lutte contre la criminalité et accusent régulièrement leurs adversaires politiques de se traîner les pieds dans les dossiers de justice. Les partis d'opposition, pour leur part, dénoncent le fait que les conservateurs ne s'attaquent qu'à l'aspect punitif en écartant des mesures visant à prévenir le crime.

M. Nicholson en veut particulièrement aux sénateurs libéraux, qui selon lui font exprès de ralentir l'adoption d'un autre projet de loi sur la lutte contre la criminalité

Mais le chef libéral, Michael Ignatieff, assure que c'est plutôt l'inverse.

«M. Harper utilise chacune des institutions pour coincer et bloquer. Qu'il laisse le Sénat faire son travail. Qu'il respecte les institutions prévues dans notre constitution», a-t-il laissé tomber lors d'une activité à Ottawa.

Le Bloc québécois, qui s'oppose aux peines minimales puisqu'elles «musèlent» les juges selon eux, ne devrait pas appuyer le projet de loi proposé par M. Nicholson, que le chef bloquiste, Gilles Duceppe, trouve par ailleurs incomplet.

«Je serais très surpris qu'on l'appuie. Il y a rien sur le sixième de la peine, rien sur les paradis fiscaux. C'est de la foutaise. Ils me font penser aux «preachers» américains. Ils sont plus purs que purs, puis quand on gratte un peu, on voit ce qu'il y a», a-t-il ironisé.

Le mois dernier, les bloquistes ont déposé un projet de loi pour abolir la libération des criminels au sixième de la peine, mais les conservateurs l'on jugé «improvisé», préférant attendre et déposer leur propre projet de loi sur le sujet.

Cette législation devrait être proposée «prochainement», a assuré le gouvernement conservateur.