En voulant interdire la vente de cigarettes aromatisées aux jeunes, le gouvernement Harper a ouvert la porte à une guerre commerciale entre le Canada, d'une part, et les États-Unis, le Mexique, l'Argentine et l'Union européenne, d'autre part.

Et contrairement à ce que des fonctionnaires fédéraux ont affirmé devant un comité du Sénat en septembre, le Canada n'a jamais soumis à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le projet de loi C-32, qui vise à interdire la fabrication et la vente des cigarettes contenant des additifs, pour savoir s'il respectait ses obligations en matière de commerce, a appris La Presse.

Le projet de loi C-32 a été adopté par le Sénat et a obtenu la sanction royale le mois dernier. Mais en privé, le gouvernement Harper a promis de ne pas mettre en oeuvre certains règlements contestés qui interdiraient quelque 5000 ingrédients dans la fabrication des cigarettes, dont l'ajout de mélange américain, selon nos sources.

«La loi a été adoptée, mais les règlements ne seront jamais mis en vigueur», a confirmé à La Presse une source bien au fait du dossier qui a requis l'anonymat.

C'est cette mesure qui avait conduit le cigarettier Philip Morris, qui possède l'usine Rothmans à Québec, à menacer de fermer son usine dans la capitale et de mettre à pied ses 300 employés parce que la nouvelle loi serait trop contraignante. Mais Philip Morris a changé son fusil d'épaule après avoir reçu des assurances d'Ottawa. Il compte augmenter la production de son usine de Québec afin de fabriquer plus de cigarettes pour le marché sud-américain, où les consommateurs préfèrent nettement le tabac à mélange américain.

Des députés conservateurs, dont la ministre des Affaires intergouvernementales, Josée Verner, et le député de Beauce, Maxime Bernier, avaient menacé de voter contre le projet de loi, mais ils se sont ralliés après avoir obtenu de la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, des assurances quant à l'application des règlements.

Traitement de faveur?

Toutefois, les autorités américaines digèrent mal que l'usine Rothmans obtienne un traitement de faveur. Car l'usine de Québec peut continuer à fabriquer des cigarettes avec des ingrédients ajoutés, destinées à l'exportation. Mais le gouvernement canadien veut toujours interdire l'importation de cigarettes au goût modifié comme les Marlboro ou les Camel, ce qui soulève l'ire des producteurs de tabac américains, notamment ceux de l'État du Kentucky, qui produisent le mélange burley.

Le sénateur républicain Jim Bunning a d'ailleurs écrit une lettre au responsable du Commerce américain, Ronald Kirk, dans laquelle il l'exhorte à porter plainte contre le Canada auprès de l'OMC, estimant que la loi adoptée par le gouvernement Harper est injuste et contrevient aux traités commerciaux internationaux.

«Le Canada n'a aucune raison d'interdire des cigarettes mélangées (avec le tabac burley) en vertu des traités commerciaux internationaux», affirme le sénateur Bunning dans sa lettre du 15 octobre, que La Presse a obtenue hier.

La Grèce, qui fait partie de l'Union européenne, a aussi fait connaître son mécontentement à la suite de l'adoption de cette loi. L'ambassade de Grèce à Ottawa a écrit au gouvernement Harper pour exiger des amendements afin de permettre la vente au Canada de cigarettes faites d'un mélange de tabacs.

Buy America...

Cette controverse met le gouvernement Harper dans l'embarras, alors que lui-même tente de convaincre l'administration de Barack Obama d'abandonner la clause Buy America, qu'il juge protectionniste.

Le ministre du Commerce international, Stockwell Day, tente depuis des mois de convaincre les autorités américaines d'abandonner cette clause. Il a même soumis l'ébauche d'un accord de réciprocité, dans l'esprit de l'Accord de libre-échange nord-américain, qui permettrait aux entreprises de chaque pays de soumissionner aux appels d'offres lancés par les provinces, États et municipalités de l'autre. L'accord n'a pas encore été signé.

Durant les audiences du comité des affaires sociales du Sénat, les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé avaient assuré le sénateur Art Eggleton, ancien ministre libéral du Commerce international, et le sénateur conservateur Michel Rivard que la loi en question respectait les obligations du Canada en matière de commerce. Ils avaient aussi affirmé que l'OMC avait été informée.

Or, des notes d'information obtenues par La Presse démontrent le contraire. Ces notes ont été rédigées pour les fonctionnaires qui ont comparu devant un comité de l'OMC au début du mois. On y suggère une réponse peu convaincante pour expliquer pourquoi le Canada n'a jamais informé l'OMC.