L'opposition à la Chambre des communes accuse le gouvernement conservateur d'avoir manipulé à son avantage le comité spécial sur l'Afghanistan, en remettant aux témoins, avant qu'ils soient entendus, des documents sensibles auxquels les députés n'ont pas accès, pour des raisons de sécurité nationale et malgré leurs privilèges parlementaires.

Le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, a dû défendre hier la décision d'Ottawa de remettre aux généraux militaires, ainsi qu'à l'ambassadeur David Mulroney, les rapports et mémos du diplomate Richard Colvin, afin qu'ils puissent adéquatement préparer leurs témoignages devant le comité.

 

Or, les députés libéraux, néo-démocrates et bloquistes réclament en vain depuis plus d'une semaine l'accès à ces mêmes documents, afin d'avoir en main toutes les informations pour interroger les témoins.

«Le ministère de la Justice doit d'abord analyser le matériel et déterminer s'il contient des informations sensibles qui pourraient mettre en danger, par exemple, les civils et militaires actuellement en Afghanistan», a dit M. MacKay hier, arguant que les quatre témoins qui ont reçu les documents cette semaine avaient tous, dans le cadre de leurs fonctions en Afghanistan, obtenu la plus haute cote de sécurité du gouvernement, ce qui n'est pas le cas des députés.

«Le gouvernement retient des documents et empêche un comité parlementaire de faire son travail, a dénoncé le député néo-démocrate Paul Dewar. On ne sait pas ce qu'il tente de cacher. Mais il fait cela pour manipuler le dossier.»

Jeudi, le comité spécial sur l'Afghanistan, composé d'une majorité de membres de l'opposition, a adopté une motion proposée par le NPD qui accuse le gouvernement du Canada d'intimidation et d'obstruction dans les travaux du comité. M. Dewar défendra sa motion lundi et le président de la Chambre des communes aura à trancher par la suite s'il y a eu mépris des institutions parlementaires.

Le Bloc québécois estime aussi que s'il n'a «rien à cacher», le gouvernement devrait rendre publics l'ensemble des 18 rapports et mémos de M. Colvin. La semaine dernière, Richard Colvin a jeté de l'huile sur le feu, en comité, en affirmant avoir tenté d'alerter pendant 18 mois les autorités canadiennes sur le fait que les prisonniers canadiens transférés aux autorités afghanes risquaient d'être torturés.

«Le fait que le gouvernement refuse de les rendre publics prétextant la sécurité montre que dans ces documents-là, il y a de l'information dont l'opposition aurait besoin pour poursuivre son travail, pour connaître la vérité», a dit hier le député bloquiste Pierre Paquette.

Corroborant en tous points les déclarations du diplomate David Mulroney, ancien no 1 du Canada en Afghanistan, le ministre MacKay a admis avoir été au courant, dès 2006, des «inquiétudes» exprimées par de nombreuses sources sur l'état des prisons afghanes. Alors qu'il a refusé d'admettre qu'il y avait un «risque» que les prisonniers transférés de 2006 à 2007 aient été torturés, il s'est contenté, comme l'avait fait M. Mulroney la veille, de répéter que les autorités canadiennes avaient agi pour corriger la situation au printemps 2007, en adoptant une politique de transfert des détenus plus robuste.

Pressé de questions, M. MacKay a toutefois refusé de dire à quel moment la décision avait été prise de changer le protocole d'entente pour le transfert de prisonniers.

«Le gouvernement admet maintenant qu'il y avait de sérieux problèmes en 2006. C'est sûr, sinon il n'aurait pas changé les façons de faire en 2007, a souligné le critique libéral Bob Rae. (Le ministre MacKay) répète sans cesse qu'il n'y avait pas de preuves crédibles de problèmes avec les détenus transférés par le Canada. Mais le problème est qu'on n'avait pas les moyens de recueillir ces preuves.»