Les partis d'opposition à la Chambre des communes se sont prononcés en majorité, mardi, pour la tenue d'une enquête publique sur le sort des détenus afghans capturés par les Canadiens et transférés aux autorités afghanes.

La motion, déposée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) à l'occasion de sa journée d'opposition, a été adoptée à 146 contre 129 voix.

Les députés conservateurs présents en Chambre s'y sont tous opposés, tandis que les néo-démocrates, libéraux et bloquistes l'ont tous soutenue.

Le texte, qui appelait le gouvernement conservateur à déclencher une enquête publique sur le transfert des prisonniers aux autorités afghanes, entre 2001 et 2009, n'a toutefois pas force de loi. Et les partis d'opposition ont reconnu ne pas se faire d'illusions, quant aux chances de voir le premier ministre Stephen Harper déclencher une enquête indépendante sur la question.

Le ministre de la Défense, Peter MacKay, a d'ailleurs rejeté la nécessité de tenir une enquête publique, lors des débats sur la motion, en soutenant que la demande était «motivée par des politiques partisanes, (...) par des allégations non fondées».

«La question est: est-ce que le gouvernement va respecter la décision du Parlement. Et sinon, ça démontre aux Canadiens et Canadiennes que c'est plus important de cacher la vérité pour M. Harper que d'accepter la recommandation de la majorité des députés à la Chambre», a estimé le leader néo-démocrate Jack Layton, avant la tenue du vote à sa sortie de la période des questions.

Le traitement des prisonniers afghans monopolise le Parlement depuis 15 jours, lorsque le diplomate canadien Richard Colvin a affirmé en comité parlementaire qu'Ottawa avait été mis au courant des risques de torture dès 2006.

David Mulroney, ancien sous-ministre délégué aux affaires étrangères et aujourd'hui ambassadeur du Canada en Chine, ainsi que le ministre MacKay, qui était à l'époque aux Affaires étrangères, ont depuis corroboré que le gouvernement connaissait les risques dès son arrivée au pouvoir.

Le gouvernement conservateur affirme depuis avoir amélioré son protocole de transfert des détenus dès mai 2007, mais c'était 18 mois après les premières allégations de torture. Et les conservateurs avaient plaidé pendant des mois aux Communes n'avoir reçu aucune preuve crédible de torture avant 2007.

«Il est clair que plusieurs détenus ont été torturés et que des hauts dirigeants le savaient. Et ils ont ordonné aux soldats de continuer le transfert de détenus en toute connaissance de cause, malgré les menaces et la possibilité de torture», a dénoncé M. Layton, pour appeler les députés à appuyer la motion de son porte-parole en matière d'affaires étrangères, Paul Dewar.

Les trois partis d'opposition sont en outre convaincus que ni les travaux du comité parlementaire sur la mission en Afghanistan, ni les périodes des questions aux Communes ne permettront de faire la lumière sur cette affaire. Car les conservateurs ont tenté d'intimider des témoins qui devaient venir comparaître en comité et ils s'obstinent à priver les députés de documents qui leurs sont nécessaires pour faire leur enquête.

«Nous avons un gouvernement qui insiste pour garder un contrôle total sur toute la procédure», a dénoncé le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae.

Les trois partis réclament depuis des semaines aux conservateurs de pouvoir consulter des dossiers cités par les témoins venus comparaître devant le comité parlementaire, notamment les rapports de M. Colvin et des documents du ministère des Affaires étrangères.

A ce sujet, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a fait savoir, lors des débats sur la motion néo-démocrate, que «tous les documents qui, juridiquement parlant peuvent l'être, seront présentés devant le comité» mercredi.

Reste à savoir ce qui sera déposé, et sous quelle forme, a souligné l'opposition, car le gouvernement pourrait présenter des boîtes de documents non triés, ou encore des copies abondamment censurées.

«Le gouvernement a des tonnes de documents, a dit M. Rae. Ils (les conservateurs) décident lesquels ils dévoilent, ils décident ce que ces documents contiennent. Ils décident quels autres documents ils cachent et quels documents ils censureront et ne nous laisseront pas voir.»