Même s'ils seront bientôt plus nombreux que les libéraux au Sénat, les conservateurs n'auront pas pour autant carte blanche à la Chambre haute. Car l'appui des sénateurs indépendants est loin de leur être acquis.

Que le premier ministre se le tienne pour dit, les sénateurs indépendants ne cèderont pas au lobbying des deux principaux partis, qui pourraient tenter de les courtiser pour obtenir leur appui lors des votes.

Et avec la nouvelle répartition des sièges au Sénat, si le premier ministre Stephen Harper a maintes fois déploré que les libéraux paralysaient les initiatives des conservateurs à la Chambre, voilà que ce reproche pourrait maintenant devoir être adressé aux indépendants.

«C'est sûr qu'on aura un rôle un peu différent. A un moment donné, c'est peut-être nous qui allons faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, si jamais les libéraux au Sénat décident de bloquer un projet de loi», a expliqué le sénateur Jean-Claude Rivest, qui a quitté le caucus du Parti conservateur peu après sa création en 2004.

Le Sénat compte cinq sièges vacants, depuis de récents départs à la retraite. Lorsque M. Harper aura choisi ses nouvelles recrues, la Chambre haute comptera 49 libéraux et 51 conservateurs.

On y retrouve également les indépendants Jean-Claude Rivest et Michael Pitfield, ainsi que la sénatrice Anne Cools, qui n'a pas d'affiliation politique depuis qu'elle a été mise à l'écart du caucus conservateur lorsqu'elle a critiqué M. Harper et son budget, en 2007.

Deux sénateurs progressistes-conservateurs, Elaine McCoy et Lowell Murray, ont quant à eux gardé leur couleur politique, suite à la fusion de leur parti avec l'Alliance canadienne qui a donné naissance au Parti conservateur. Ils sont eux aussi considérés comme indépendants.

«Je ne crois pas que les conservateurs pourront faire ce qu'ils veulent, parce qu'ils n'ont toujours pas une majorité absolue et qu'il y a cinq membres du Sénat qui ne sont membres d'aucun parti», a fait valoir le sénateur Murray, soutenant qu'il ne s'attendait pas à un grand bouleversement des forces.

«Même si nous ne votons pas en groupe, en principe nous le pouvons. Si nous nous joignions aux libéraux, nous aurions la balance du pouvoir», a-t-il ajouté, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Les sénateurs Murray, McCoy et Rivest soulignent qu'ils se rangent fréquemment derrière les libéraux et qu'ils se sont opposés à certaines positions des troupes de M. Harper, jugées trop à droite.

M. Pitfield, qui a oeuvré au cabinet de Pierre Trudeau, est souffrant de la maladie de Parkinson et de moins en moins présent sur la colline parlementaire.

Face à un caucus conservateur de plus en plus uni, l'appui des indépendants pourrait d'ailleurs devenir d'autant plus précieux pour les libéraux.

«Des 18 derniers sénateurs (nommés par M. Harper), aucun d'entre eux n'a jamais voté autrement que de la façon dont le gouvernement leur a dit de voter», a indiqué la sénatrice McCoy, arguant que traditionnellement il n'y avait pas de telle ligne de parti au Sénat.

Alors qu'il s'oppose à l'existence d'un Sénat non-élu, qu'il a qualifié d'«institution du 19e siècle», M. Harper a reconnu, en entrevue avec Radio-Canada jeudi, qu'il avait finalement nommé davantage de sénateurs au cours de son mandat que l'ancien premier ministre libéral Jean Chrétien.

«C'est ironique, oui», a-t-il avoué. Mais «si le gouvernement ne peut pas faire adopter son programme au Sénat non-élu, si le gouvernement ne peut pas réformer le Sénat à cause des sénateurs qui résistent à la réforme, il n'y a pas de choix, sauf de nommer des sénateurs», a-t-il justifié.

Une majorité qui pourrait se faire sentir aux comités

Puisque la session parlementaire s'est terminée lorsque M. Harper a décidé de proroger le Parlement, le 30 décembre, la composition des comités du Sénat sera modifiée.

Les conservateurs y seront désormais majoritaires et ils pourront occuper la présidence d'un plus grand nombre d'entre eux, et même de leur totalité s'ils le désirent. La pratique consiste toutefois à laisser la présidence de certains comités à l'opposition.

Or, selon le Parti libéral, voilà qui permettra aux conservateurs de museler les comités, en ayant le contrôle de leur agenda, des témoins qui y seront invités et des rapports qui y seront publiés. Le Sénat risque ainsi de devenir une simple chambre d'écho aux Communes, a-t-on dénoncé dans les rangs du parti.

«Le premier ministre vient de relever sa manche et de rentrer sa main dans tout le travail des comités sénatoriaux», s'est indigné un libéral proche du dossier.

Pourtant, sous le règne de Jean Chrétien, le Sénat était à domination libérale, et dans un gouvernement majoritaire de surcroît.

«Effectivement, le contre-poids au gouvernement (au Sénat) va être diminué, mais la «faiblesse» du gouvernement reste dans le fait qu'il est minoritaire. Et cela reste la première chose qu'il ne faut pas oublier», a résumé le sénateur Rivest.