Le premier ministre Stephen Harper est catégorique: il ne veut pas d'élections en 2010, préférant consacrer l'essentiel de ses efforts à relancer l'économie canadienne. Dans une entrevue accordée à La Presse, cette semaine, M. Harper se dit prêt à incorporer les idées des trois partis de l'opposition dans le discours du Trône que son gouvernement présentera le 3 mars. Quant au dossier de l'environnement, le premier ministre défend le bilan de son gouvernement et invite les provinces à faire preuve d'un peu de retenue dans leurs critiques.

Q: Pensez-vous que les Canadiens veulent des élections présentement? Il y a des gens qui disent que vous avez prorogé le Parlement comme stratégie pour provoquer des élections au printemps.

 

R: Non. C'est plus simple que ça. J'ai décidé d'avoir un nouveau discours du Trône pour avoir une nouvelle session du Parlement. C'est l'explication un peu plus simple qu'un complot et c'est normal, après à peu près une année, qu'un gouvernement réexamine son agenda, et j'encourage les partis de l'opposition à nous communiquer leurs priorités. Mais je pense que la population ne veut pas d'élections. La majorité de la population croit, avec raison, que la récession continue. Leur priorité est l'économie. C'est clair pour nous aussi. Nous serons dans une année très différente que l'année précédente, mais c'est encore une période d'incertitude économique, de priorité économique. Le gouvernement ne veut pas d'élections. La population ne veut pas d'élections. Je pense franchement que les partis de l'opposition ne veulent pas d'élections, mais c'est à eux de décider leurs propres priorités.

Q: Si les partis de l'opposition soumettent leurs idées, vous êtes prêt à les considérer et les inclure dans le discours du Trône que vous allez présenter le 3 mars?

R: Je suis toujours prêt à écouter les idées de l'opposition. Je ne fais pas de garantie que le gouvernement sera d'accord, mais ça, c'est la nature du débat. Nous sommes un gouvernement minoritaire, et nous avons besoin toujours d'un des trois partis de l'opposition pour faire adopter nos propositions, et si ces partis ont des priorités et, surtout, des priorités partagées par la population, le gouvernement est toujours prêt à les examiner.

Q: Sur l'économie, vous avez indiqué que vous étiez optimiste pour 2010. Croyez-vous que le Canada a évité le pire de la tempête économique?

R: Je pense que oui. Si on examine la situation maintenant, on a vu un grand changement, évidemment. Il y a un an, l'incertitude était sans précédent dans nos vies. L'économie mondiale continuait à piquer du nez. Puis on a vu une stabilisation à l'automne au Canada. On commence à voir des stabilisations ailleurs, et je suis optimiste que ça va continuer à s'améliorer. Mais à moyen terme cette année, quand le Canada présidera le G8 et coprésidera le G20, il est important de continuer à mettre l'accent sur la livraison des mesures de stimulus ici et au niveau mondial. Mais en même temps, si l'économie continue à prendre des forces, on devrait penser à des mesures de sortie. Les mesures monétaires et fiscales de stimulus à travers le monde ont été exceptionnelles pendant l'année passée, et on ne peut pas continuer comme ça.

Q: Croyez-vous qu'on pourrait souffrir d'une sortie de crise en W, c'est-à-dire une reprise, suivie d'une récession, puis à nouveau d'une reprise, comme certains économistes le prédisent?

R: C'est toujours possible. On spécule sur l'avenir et on a remarqué pendant l'année passée que c'est difficile de spéculer dans une telle période. Mais je pense que le pire est passé, mais si j'ai tort, il faudra réexaminer nos actions.

Q: Le déficit sera de 56 milliards en 2009-2010. Est-ce qu'il pourrait être plus élevé que cela encore?

R: Je n'ai pas vu les plus récents chiffres. Mais mon impression est que cela n'a pas beaucoup changé dans les derniers mois. On doit rappeler à vos lecteurs que le déficit est grand, mais en comparaison des autres, c'est petit. Le déficit des États-Unis et du Royaume-Uni est quatre fois plus grand que celui du Canada. Nos niveaux d'endettement sont beaucoup plus bas. Nous sommes dans une position très forte, mais il est essentiel, à mi-chemin, d'avoir des actions et des plans pour assurer un retour à un budget équilibré.

Q: Vous vous êtes engagé formellement à ne pas hausser les impôts pour éliminer le déficit et de ne pas réduire les transferts aux provinces. Il y a des gens qui disent que ce n'est pas réaliste, qu'il y a un déficit structurel, et qu'à un moment donné, il va falloir augmenter les impôts.

R: Nous avons montré nos chiffres cet automne. Ces chiffres ont été acceptés par la grande majorité des économistes. C'est essentiel de faire deux choses: de mettre fin aux mesures de stimulus à la fin de cette récession, c'est-à-dire à la fin de l'année prochaine, et nous commençons à penser à des mesures. Il faut aussi limiter l'augmentation des dépenses après ça. Mais on va voir le retour de la croissance de nos revenus après la récession, et on doit se souvenir qu'avant cette récession, nous avions un surplus. Et si on peut faire ces deux choses, on peut retourner au budget équilibré. Je veux éviter la situation des libéraux. Je ne veux pas une situation où on doit augmenter des taxes, couper des transferts pour des programmes majeurs parce qu'on a créé un grand déficit avec un énorme niveau de dette. On doit agir pour éviter cela. Mais pour ça, il faut avoir de la discipline pendant des années après.

Q: En matière d'affaires étrangères, on a l'impression quand on regarde ce qui s'est passé à Copenhague, notamment, que la réputation internationale du Canada a été ternie. Le Canada a reçu le Fossile de la journée des groupes écologistes plusieurs fois. Le Canada se fait critiquer constamment sur le plan environnemental.

R: Sur l'environnement, c'est malheureux que certains Canadiens aient critiqué le Canada à Copenhague, mais franchement, je n'ai pas vu de critiques de la part des acteurs étrangers ou des négociateurs. On parle des manifestations dans la rue. Ils critiquent tous les pays développés. C'est leur nature. C'est pour leur «fundraising». Mais franchement, ce n'est pas le vrai show. Le vrai show, c'est les négociations, et le Canada n'est pas seulement respecté, mais les priorités du Canada ont été reflétées dans l'accord de Copenhague. Depuis longtemps, nous avons insisté sur plusieurs choses, qu'un futur accord doit avoir des cibles réalistes qui seraient équilibrées avec les besoins de l'économie, et qu'on doit avoir la participation de tous les grands émetteurs du monde. Évidemment, nos alliés insistaient sur ça. Nous avons maintenant un accord qui inclut les efforts de tout le monde. On a beaucoup de travail à faire pour vraiment le rendre efficace, mais on est d'accord sur ces principes. Maintenant, depuis l'arrivée en fonction de l'administration Obama, nous travaillons ensemble pour créer un système nord-américain efficace. Et je pense que nous faisons beaucoup de progrès. Je pense que pour la première fois, le Canada est dans une position qui lui permet de développer une approche efficace et réaliste envers les changements climatiques. Au cours de la dernière décennie et demie, nous avons entendu de la part de mes opposants des belles paroles sur des cibles énormes, des ambitions incroyables, mais quels ont été les résultats? Rien. Rien. Et maintenant, finalement nous faisons partie d'un accord international qui reconnaît nos réalités et qui inclut les autres grands émetteurs.

Q: Craignez-vous que la question de l'environnement devienne un problème d'unité nationale? Jean Charest s'est promené à Copenhague et a critiqué votre plan. L'Alberta a dit que sa contribution au sein de la fédération canadienne n'est pas reconnue. Il semble y avoir de plus en plus de frictions entre les provinces sur la question de l'environnement.

R: Non, pas vraiment, parce qu'heureusement, les provinces ne peuvent pas établir des cibles et des mesures pour les autres provinces. Je voudrais voir beaucoup plus d'efforts de la part de toutes les provinces dans leur propre domaine. L'environnement est une compétence partagée, et nous avons l'intention de travailler avec les provinces. Nous sommes un gouvernement qui est représenté à travers le pays. Ce n'est pas comme certains gouvernements passés qui avaient comme stratégie de gagner dans certaines provinces par des attaques contre les autres provinces. Ce n'est pas l'approche de notre gouvernement, et quand nous sommes au gouvernement, nous nous opposons toujours aux tentatives de faire des jeux politiques avec l'environnement ou d'autres sujets qui pourraient nuire à l'unité.