Querelles internes, dénonciations, démissions, mort tragique d'un président sous tension, nomination d'un intérim contesté... La crise qui sévit à l'organisme Droits et démocratie ne cesse de prendre de l'ampleur.

Créé en 1988 par le Parlement canadien, Droits et démocratie est un organisme non partisan. Il a son siège à Montréal, mais il est reconnu à l'étranger pour ses efforts dans la promotion des droits de la personne dans les 25 pays où il s'engage.

 

Or, au début du mois de janvier, la mort subite du président de l'organisme, Rémy Beauregard, a révélé au grand jour les querelles internes qui existaient depuis déjà un moment à Droits et démocratie.

M. Beauregard, 66 ans, est mort d'un arrêt cardiaque dans la nuit du 8 janvier, après une réunion particulièrement houleuse du conseil d'administration à Toronto. Au cours de la rencontre, deux administrateurs ont démissionné avec fracas. Les critiques reprochent à une moitié du conseil de vouloir faire un virage idéologique pour se rapprocher des orientations du gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Depuis, les employés de Droits et démocratie ont demandé en bloc la démission du président du CA, Aurel Braun; l'opposition à Ottawa a vivement dénoncé ce qu'elle considère comme de l'ingérence politique du gouvernement Harper dans les affaires d'un organisme indépendant; et les anciens présidents de l'organisation ont réclamé une enquête pour faire toute la lumière sur la crise actuelle.

«Il est apparu dans les derniers mois une division au conseil d'administration et une division entre certains éléments du conseil et le président (M. Beauregard), explique Jean-Louis Roy, qui a présidé l'organisme de 2002 à 2008. Droits et démocratie, ce n'est pas son conseil d'administration. Et ce n'est pas l'équipe de l'institution. Ce sont deux poumons du même organisme. Si les deux ne peuvent pas aller chercher le même oxygène, ça va aller de difficulté en difficulté.»

«Un signal doit être donné par quelqu'un pour dénouer cette crise. Et le signal ne vient pas, en ce moment», ajoute M. Roy.

Prévenu des problèmes au sein de l'organisme dès l'automne dernier, le gouvernement Harper a fait la sourde oreille à la requête de changer le président du conseil. Ottawa s'est contenté de combler les sièges vacants en y nommant David Matas, conseiller juridique du groupe de défense des juifs B'nai Brith, et Michael Van Pelt, président de Cardus, un groupe de réflexion chrétien. Les deux ont aussitôt appuyé M. Braun.

«Ce qui est important dans ce genre d'organisme, c'est de garder sa crédibilité. Pour garder sa crédibilité, il faut être impartial, souligne Jérôme Turcq, vice-président régional de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) qui représente les employés de Droits et démocratie. Les craintes et les appréhensions risquent d'être encore plus justifiées si la balance du pouvoir au conseil d'administration s'est transférée de l'autre côté.»

Rémy Beauregard aurait été victime de pressions et de harcèlement, selon les 47 employés qui ont réclamé le départ du président, mais aussi celui des deux vice-présidents du conseil.

En réponse à la crise qui sévit depuis plusieurs semaines, sept membres du conseil d'administration ont signé une lettre ouverte dans Le Devoir vendredi dernier.

«Le conseil d'administration a pris très au sérieux plusieurs décisions non autorisées prises par le personnel de dépenser les fonds des contribuables à des fins que la plupart des contribuables et des dirigeants politiques considéreraient comme épouvantables», écrivent-ils.

Le même jour, plus de 100 professeurs et avocats de partout au Canada ont signé une lettre ouverte, s'inquiétant des «pressions exercées sur l'organisme dans le but d'infléchir ses politiques» afin de les rendre conformes aux orientations du gouvernement. «Nous demandons que la composition du conseil soit réévaluée de façon à ce que celui-ci soit plus équilibré et diversifié sur le plan des idées et des orientations», soulignent les juristes et politologues.

Mais le conflit pourrait encore s'envenimer. En fin de soirée, lundi, le conseil a annoncé par communiqué la nomination, à la suite du décès de M. Beauregard, d'un président par intérim: Jacques Gauthier, un des trois administrateurs dont la démission a été réclamée par les employés.

«Le président de Droits et démocratie est d'abord l'animateur d'une équipe. L'équipe a fait savoir d'une façon très claire, très forte, qu'elle ne voulait pas travailler avec trois membres du conseil et on a choisi un de ces membres pour venir animer cette équipe. Je pense que ça va être très compliqué», conclut Jean-Louis Roy.

Rétablir l'ordre

En entrevue avec La Presse, M. Gauthier a insisté sur l'importance de «rétablir un peu d'ordre et de calme». «Mes premières responsabilités seront de m'assurer que la situation, qui est malsaine en ce moment, change de direction, a souligné le président par intérim. On passe des moments difficiles. Ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas tout faire pour essayer de faire fonctionner de nouveau Droits et démocratie.»

Il assure que sa nomination a été approuvée par une majorité des membres du conseil d'administration.

«On a beaucoup jugé certains membres du conseil, et même le gouvernement, sans comprendre des dimensions importantes de l'histoire. En temps et lieu, il faudra répondre, donner les faits qui manquent et s'assurer que les jugements qui ont été portés très rapidement seront peut-être reconsidérés, a dit M. Gauthier. Avec ma nouvelle casquette de président, ce n'est pas mon rôle aujourd'hui.»