Le dernier ressortissant occidental détenu à Guantánamo, Omar Khadr, pourrait bien connaître son sort aujourd'hui. Dans une décision très attendue, la Cour suprême annoncera ce matin si elle contraint le gouvernement fédéral à demander le rapatriement du jeune prisonnier canadien.

«L'impact de la décision pourrait être gigantesque, si la Cour a le courage d'inclure le devoir de protéger les Canadiens à l'étranger, qui était à la base du jugement de première instance», estime le professeur de droit à l'Université de Montréal Stéphane Beaulac.

 

Emprisonné sans procès depuis sept ans, Omar Khadr est accusé d'avoir tué un soldat américain en Afghanistan au cours d'une altercation en 2002, alors qu'il n'avait que 15 ans. Arrêté par les autorités américaines et transféré à Guantánamo, il lutte depuis des années - à l'aide d'avocats et de groupes de défense des droits - pour être rapatrié et jugé au Canada, ce que le gouvernement a toujours refusé de faire.

En avril 2009, le juge James O'Reilly, de la Cour fédérale, conclut que les droits d'Omar Khadr ont été violés et ordonne à Ottawa de faire la demande, auprès des États-Unis, de rapatrier le jeune prisonnier. Le juge estime que le Canada a «l'obligation de protéger» ses ressortissants à l'étranger.

La Cour d'appel vient confirmer ce jugement en août 2009, mais en précise la portée: les droits du prisonnier ont été violés lorsque les fonctionnaires du gouvernement l'ont interrogé sachant qu'il avait été privé de sommeil, un traitement jugé «cruel et abusif». Le jugement ne fait plus mention du «devoir de protéger», mais ordonne aussi au gouvernement de demander le rapatriement d'Omar Khadr.

Depuis le début, le gouvernement conservateur de Stephen Harper plaide que, compte tenu de la gravité des crimes qui lui sont reprochés (meurtre, mais aussi soutien matériel au terrorisme, complot et tentative de meurtre), le jeune prisonnier devrait être jugé par la justice américaine.

Le jugement d'aujourd'hui est d'autant plus important qu'il indiquera dans quelle mesure un tribunal peut dicter au gouvernement la conduite à adopter.

Charte et prérogative royale

Ottawa plaide que les dossiers d'affaires étrangères relèvent de la prérogative royale, donc du pouvoir discrétionnaire du gouvernement.

«La question est de savoir si l'exercice de la prérogative royale est balisé par la charte des droits et libertés, juge le professeur Beaulac. C'est l'occasion, pour la Cour suprême, de venir dire au gouvernement qu'il n'a pas carte blanche.»

Selon Amir Attaran, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, le premier ministre a tort de penser qu'il a «un pouvoir absolu» dans le traitement des Canadiens à l'étranger.

«C'est ridicule. La charte des droits et libertés est la première loi dans notre système. C'est fondamental et c'est plus important que les décisions d'un premier ministre qui pense qu'il est un roi ou un empereur, s'insurge M. Attaran. Dans un État de droit, ce sont les lois qui sont importantes, pas les décisions de M. Harper.»

Déjà, le jour même des audiences en Cour suprême, le gouvernement avait laissé entendre à mots couverts qu'il pourrait ne pas obéir au jugement, quel qu'il soit.

«La décision de demander le rapatriement d'Omar Khadr, c'est une décision pour le gouvernement démocratiquement élu, et non pas pour les tribunaux», avait alors lancé Pierre Poilièvre, secrétaire parlementaire du premier ministre.

Une réaction qui n'avait pas manqué de soulever la consternation dans les milieux juridiques.

«Ça n'arrivera jamais. Le gouvernement va obéir au jugement. Parce que théoriquement, quiconque viole un ordre de la Cour se place en outrage au tribunal et peut être emprisonné», souligne le professeur Attaran.

Le cas d'Abdelrazik

Il rappelle le cas d'Abousfian Abdelrazik, un Montréalais qui s'est retrouvé pendant six ans coincé au Soudan, son pays d'origine, jusqu'à ce qu'un tribunal fédéral ordonne au gouvernement Harper de lui délivrer un passeport et de le ramener au pays.

«Le gouvernement ne répondait pas à la décision de la Cour, explique M. Attaran. Nous avons dû publiquement annoncer notre intention d'aller devant les tribunaux pour demander l'emprisonnement de Lawrence Cannon (ministre des Affaires étrangères). Il a soudainement changé d'idée très rapidement.»

Selon Stéphane Beaulac, il s'agit d'une question «de respect et de déférence» entre les différents pouvoirs d'une démocratie.

«Ce serait sans précédent», dit-il, si Ottawa refusait de se plier au jugement. Mais les dernières actions et déclarations du gouvernement, notamment la prorogation du Parlement, cet hiver, l'inquiètent au plus haut point.

«On joue avec les institutions. Cette rhétorique, c'est incendiaire, soutient M. Beaulac. C'est indigne de la grande tradition libérale démocrate du Canada. C'est fort surprenant venant de gens qui travaillent au sein du grand Parti conservateur de John Macdonald et de plein d'autres grands anciens premiers ministres du Canada.»