Satisfaits de voir le gouvernement canadien réprimandé, mais déçus que le rapatriement d'Omar Khadr ne soit pas exigé par la Cour suprême, les militants des droits de l'homme ont tourné les yeux vers le même endroit hier: le bureau du premier ministre, Stephen Harper.

«C'est absolument nécessaire que le gouvernement réagisse et fasse quelque chose, a dit hier Alex Neve, d'Amnistie internationale, quelques minutes après que la décision de la Cour suprême eut été rendue publique hier matin, reconnaissant que les autorités canadiennes ont violé les droits de leur citoyen, Omar Khadr, en l'interrogeant sur la base militaire américaine de Guantánamo Bay, où il est détenu depuis 2002 et où il est soumis à de mauvais traitements.

«(Harper et son cabinet) pourraient continuer à faire la sourde oreille, mais ça donnerait l'impression qu'ils ne répondent pas à une décision unanime du plus haut tribunal», a ajouté M. Neve hier.

À Human Rights Watch (HRW), le son de cloche était le même. «La Cour a condamné à l'unanimité la participation du Canada dans les interrogatoires abusifs contre Omar Khadr à Guantánamo. Les juges ont refusé d'imposer le redressement juridique que nous espérions - le rapatriement - mais la décision déclaratoire qu'ils ont faite est un énoncé fort qui oblige le gouvernement canadien à agir», a affirmé Andrea Parsow, spécialiste des questions de terrorisme et de contre-terrorisme à HRW, jointe à Washington par La Presse.

Échéancier manquant

Les experts en droit international et en droit constitutionnel canadien donnent raison aux deux organisations internationales des droits humains. La décision de la Cour suprême, si elle ne dit pas au gouvernement fédéral les mesures exactes qu'il doit prendre pour remédier à la situation dans laquelle se trouve le jeune Khadr, l'enjoint néanmoins à passer à l'action.

«Le gouvernement ne peut pas ne rien faire. Mais ils n'ont pas à demander son rapatriement, ils peuvent choisir un autre moyen de réparation, comme une compensation financière», a noté hier René Provost, professeur de droit à l'Université McGill.

Cette décision ne fait cependant pas l'unanimité. Professeur à l'Université d'Ottawa, Amir Attaran estimait hier que même si la Cour suprême refuse d'empiéter sur les pouvoirs de l'exécutif, elle aurait pu imposer un échéancier au gouvernement Harper. «Nous avons ici une Cour qui ne voit pas la différence entre souplesse et faiblesse», a tonné l'universitaire, joint par téléphone.

Au Centre David Asper pour les droits constitutionnels de Toronto, où l'on étudie de près l'affaire Khadr, on doutait aussi du bien-fondé de la réserve exprimée par le plus haut tribunal. «C'est décevant car si on veut que les droits des citoyens soient réels, ces derniers doivent être capables de les faire respecter. Ici, on a un cas où la cour reconnaît que les droits d'un citoyen ont été violés et le sont toujours, mais se contente d'une déclaration», a souligné hier Cheryl Milne, directrice du centre qui a plaidé en faveur du rapatriement du jeune Khadr devant la Cour suprême.

Échos américains

La décision d'hier a aussi causé des réactions au sud de la frontière. Les militants de la American Civil Liberties Union comptent notamment saisir le procureur-général américain, Eric Holder, des conclusions de la cour canadienne. «Ça envoie un message au gouvernement américain. Nous demandons à Holder d'extrader Omar Khadr vers le Canada, où il sera réhabilité après avoir vécu des années de détention et de mauvais traitements», a dit hier Jamil Dakwar, de son bureau de Washington.

- Avec la collaboration de Malorie Beauchemin