Le ministre Lawrence Cannon veut le nommer à la barre d'un bateau en pleine déroute : celui du centre international Droits et Démocratie. L'opposition n'en veut pas. Gérard Latulippe est-il l'homme de la situation?

Gérard Latulippe a passé la nuit du 12 janvier à soigner des blessés à Port-au-Prince. Installé devant l'hôtel Villa Créole, le responsable du programme haïtien du National Democratic Institute a pansé des plaies béantes et tenu des mourants dans ses bras.

 

«Il n'a pas arrêté de la nuit», raconte Richard Mimeau, directeur du parti du maire Gérald Tremblay, qui se trouvait lui aussi à Haïti en cette journée de fin du monde.

Richard Mimeau a été impressionné par le sang-froid de Gérard Latulippe, mais aussi par son énergie: «Il a 65 ans, mais ça ne paraissait pas du tout.»

Plusieurs survivants étaient paralysés par le choc du séisme. Gérard Latulippe, lui, «n'a pas gelé», dit Richard Mimeau. Au contraire, il a plongé dans l'action.

Signe d'un caractère qui se révèle en temps de crise? Si tel est le cas, Gérard Latulippe risque d'être bien servi dans les mois qui viennent.

Car c'est lui que le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, veut placer à la tête de Droits et Démocratie, cet organisme plongé dans une crise aiguë depuis le décès soudain de son président, Rémy Beauregard.

L'opposition, que le gouvernement doit consulter avant cette nomination, a critiqué le choix de Gérard Latulippe, qu'elle juge trop partisan: M. Latulippe a milité au sein de l'Alliance canadienne, ancêtre de l'actuel Parti conservateur. Elle reproche aussi à M. Latulippe des prises de position passées, en faveur de la peine de mort, par exemple - option à laquelle Droits et Démocratie est opposé.

Mais d'autres voix appuient la candidature de Gérard Latulippe, évoquant sa compétence et son expérience internationale.

Un parcours en slalom

En apprenant que son ancien collègue Gérard Latulippe s'était enrôlé au sein de l'Alliance canadienne, à l'automne 2000, Christiane Pelchat a failli tomber à la renverse.

L'actuelle présidente du Conseil du statut de la femme connaissait Gérard Latulippe depuis 1985, quand ils ont tous deux été élus sous la bannière libérale dans des circonscriptions voisines du sud de Montréal. Ils ont beaucoup collaboré à cette époque et Christiane Pelchat se souvient d'un homme qui défendait avec conviction des valeurs de justice sociale.

Puis, du jour au lendemain, Gérard Latulippe s'est joint à un parti de droite. Dans une entrevue, il s'est dit favorable au rétablissement de la peine de mort.

«Qu'est-ce qui t'a pris, étais-tu malade?» a demandé Mme Pelchat à son vieil ami lorsqu'ils se sont croisés, quelques années après l'aventure «allianciste».

Il faut dire que Gérard Latulippe n'en était pas à son premier virage. En 1994, il avait causé la consternation en s'affichant comme souverainiste. À l'époque, il était délégué général du Québec à Bruxelles. Et le nouveau gouvernement péquiste voulait que ses délégations étrangères servent à mousser la souveraineté.

Plusieurs délégués avaient alors plié bagage. Gérard Latulippe, lui, a annoncé sa conversion. «Il a laissé un arrière-goût désagréable chez les libéraux», dit un autre ex-collègue, qui estime que M. Latulippe a eu un parcours «en slalom».

Plus récemment, Gérard Latulippe a causé la surprise en flirtant avec le discours identitaire de l'ADQ, à la veille du scrutin de 2006 qui allait propulser ce parti jusqu'aux portes de Montréal.

Opportuniste, Gérard Latulippe? Pour le défendre, un de ses proches résume ainsi ses zigzags: «Il a essayé toutes sortes d'affaires en politique, mais c'est sur la scène internationale qu'il a vraiment trouvé sa voie.»

L'homme de Bourassa

Gérard Latulippe est né dans une famille modeste de Montréal. Fils unique, il étudie l'économie, puis le droit.

Au milieu des années 80, il devient un des artisans du retour politique de Robert Bourassa, qui le nomme solliciteur général. Poste dont il doit démissionner en 1987 après une histoire de conflit d'intérêts: il avait confié un contrat à un cabinet où travaillait sa conjointe - une histoire qui avait causé un électrochoc et mis un terme à sa carrière politique provinciale.

Deux ans plus tard, Gérard Latulippe se retrouve à la délégation du Québec à Mexico, où il laisse un souvenir mitigé. Un grand journal mexicain publie un article lui reprochant d'avoir mis un frein aux relations culturelles québéco-mexicaines. La délégation affiche une attitude «vulgaire et honteuse», affirme l'auteur de l'article, l'écrivain Lazlo Moussong.

Joint par La Presse, M. Moussong réitère que Gérard Latulippe a «bloqué les échanges culturels» en ne misant que sur de grandes manifestations et en traitant certains artistes comme des profiteurs qui veulent se faire payer des voyages au Québec.

Un ancien employé du bureau de Mexico, témoignant à titre anonyme, raconte qu'il y régnait un climat tendu, que Gérard Latulippe était «imprévisible» et s'emportait parfois dans des colères épiques.

Un autre ex-collègue qui l'a côtoyé dans d'autres circonstances évoque lui aussi son attitude «têtue» et son caractère bouillant.

«Colérique? Je n'ai jamais rien vu de tel», proteste Les Campbell, directeur régional du National Democratic Institute (NDI). Canadien d'allégeance néo-démocrate, M. Campbell gère le programme nord-africain de cette ONG américaine. Et c'est lui qui a recruté Gérard Latulippe, il y a six ans, pour lui confier le bureau marocain.

«Ses opinions sont beaucoup plus à droite que les miennes, mais il a toujours été respectueux de mon point de vue», assure Les Campbell, qui a écrit au critique néo-démocrate à Ottawa, Paul Dewar, pour soutenir la nomination de M. Latulippe à Droits et Démocratie.

Mais Christiane Pelchat, elle, reconnaît que Gérard Latulippe n'a pas la langue dans sa poche - et peut heurter des susceptibilités au passage. À ses yeux, ce n'est pas un défaut: «Il ne se fait pas rouler dans la farine.»

Mais son franc-parler peut aussi lui jouer des tours. Interviewé par L'Actualité après le séisme du 12 janvier, Gérard Latulippe a évoqué l'éventualité d'une mise en tutelle du gouvernement haïtien, forçant le NDI à se distancer publiquement de cette position.

Chose certaine, si jamais sa nomination est confirmée et qu'il doit jouer le Casque bleu dans la guerre ouverte qui fait rage entre le personnel de Droits et Démocratie et son conseil d'administration, Gérard Latulippe n'aura d'autre choix que de bien peser ses mots.

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Droits et démocratie

Fondée en 1988 par le gouvernement de Brian Mulroney, Droits et Démocratie est une agence indépendante vouée à la défense des droits et à la promotion des pratiques démocratiques. Doté d'un budget de 11 millions, l'organisme se consacre à la défense des droits des femmes et des peuples autochtones et à des projets de soutien à la démocratie. Droits et Démocratie est présent dans plusieurs pays africains et latino-américains ainsi qu'en Afghanistan. Son président et son conseil d'administration sont nommés par le gouvernement. Les nominations au conseil sont soumises aux partis de l'opposition.