Mécontent de la couverture médiatique dans le dossier de la condamnation clémente de Rahim Jaffer, ex-député conservateur, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, accuse certains journalistes, en les nommant, de propager la «propagande libérale».

Dans une lettre incendiaire, envoyé à des «collègues, amis et autres», le ministre Toews s'en prend à la journaliste du Winnipeg Free Press, Mia Rabson, et dans une moindre mesure au reporter/bloggeur David Akin, de CanWest, pour avoir révélé que le juge qui a condamné l'ancien député Jaffer, mercredi, à une amende de 500 $ pour conduite dangereuse, avait été nommé en poste par l'actuel ministre des Finances, Jim Flaherty, alors que ce dernier était procureur général du gouvernement conservateur ontarien, en 2000.

«C'est le genre de théorie du complot que reprend souvent Mia Rabson parce que ça ne demande pas beaucoup de réflexion ni de travail», écrit M. Toews, qui est aussi le ministre responsable du Manitoba.

Ancien député conservateur albertain, de 1997 à 2008, Rahim Jaffer a plaidé coupable mercredi à une accusation de conduite imprudente, évitant la prison et un casier judiciaire. Le procureur a accepté d'abandonner les chefs d'accusation de possession de cocaïne et de conduite en état d'ébriété, et le juge Doug Maund, de la Cour de l'Ontario, a entériné l'entente, non sans souligner que M. Jaffer était «chanceux» de s'en tirer à si bon compte.

Interrogé sur le sujet, le ministre Toews a suggéré aux journalistes de s'adresser plutôt au gouvernement ontarien pour avoir davantage d'explications.

Une suggestion «logique», dans le contexte, explique-t-il dans sa lettre.

«Mais la logique n'a jamais été un obstacle dans les efforts de Mme Rabson pour s'assurer que la propagande libérale soit bien retransmise dans chaque dossier, et ce, malgré les faits», ajoute le ministre de la Sécurité publique.

Des commentaires jugés «totalement inacceptables» par le député libéral Denis Coderre.

«On peut être émotif. On peut ne pas aimer ce que les journalistes écrivent. Mais de là à dire que les journalistes sont là pour faire les basses oeuvres de l'opposition officielle, je trouve que c'est exagéré, a estimé M. Coderre. Et ce n'est pas la première fois que Vic Toews exagère. Il faudrait qu'il se rappelle que son titre contient le mot honorable. Commencer à jouer la théorie de la conspiration parce que ça fait pas votre affaire, je trouve que ce n'est pas honorable. Ça ne sert pas l'institution et ça augmente le cynisme dans le processus démocratique.»

Ancien avocat au criminel, le député néo-démocrate Joe Comartin juge aussi que le ministre Toews, lui-même un ancien ministre de la Justice au Manitoba, est allé trop loin.

«Une lettre d'un homme qui était autrefois procureur général de cette province, qui attaque une journaliste pour avoir simplement fait son travail, en l'accusant d'être biaisée, je trouve que ça va vraiment au-delà du mépris», a dit M. Comartin.

La dernière missive du ministre Toews ne surprend toutefois pas la rédactrice en chef du Winnipeg Free Press, Margo Goodhand.

«Ce n'est pas la première fois que le ministre Toews attaque notre journal. Il semble croire qu'il y a une conspiration contre les conservateurs. Et ce n'est simplement pas vrai. Ça me surprend qu'un ministre de son calibre ne saisisse pas plus le travail des médias», a souligné Mme Goodhand.

Défendant le travail de ses journalistes, elle juge le comportement du ministre «enfantin» puisqu'il refuse, dit-elle, de retourner les appels du Winnipeg Free Press, alors qu'il est le ministre responsable du Manitoba.

«Devant ses commettants, il aime bien nous dépeindre comme le méchant journal libéral. Il pense probablement que ça le rendra plus sympathique auprès de ses électeurs. Si ça lui fait plaisir, tant mieux pour lui. Mais c'est faux», a ajouté Mme Goodhand.

Le Winnipeg Free Press examine actuellement les recours possibles contre le ministre. «On regarde cette lettre et on se demande à quel moment est-ce qu'on peut dire: ok, ça a assez duré. Les attaques sont personnelles et injustifiées», a conclu la rédactrice en chef.