L'entrée de Stephen Harper dans l'univers de YouTube a été accueillie froidement par les francophones, qui semblent avoir boudé la chance de poser des questions au premier ministre.

Une semaine après que le bureau du premier ministre eut annoncé en grande fanfare que les Canadiens pourraient poser leurs questions à M. Harper sur le site de partage de vidéos, seulement une trentaine des quelque 1800 requêtes soumises au premier ministre sont rédigées en français.

Jeudi dernier, la réplique du premier ministre au discours du Trône a été diffusée en direct sur YouTube. Les internautes canadiens étaient par la suite invités à lui poser leur question jusqu'à dimanche: M. Harper répondra mardi soir aux plus populaires d'entre elles.

Or, des 1797 questions affichées sur le site, seulement 29 d'entre elles ont été posées dans la langue de Molière.

Au bureau du premier ministre, on réplique ne pas avoir de pouvoir quant au nombre de Canadiens-français qui répondent à cette initiative.

«C'est hors de notre contrôle», a rétorqué un porte-parole.

L'entourage de M. Harper aurait réclamé que l'exploitant du site, Google, retienne, à parts égales, des questions francophones et anglophones. Google était simplement responsable de modérer les demandes des internautes, afin de filtrer les requêtes hors propos ou vulgaires.

Le porte-parole du premier ministre a également soutenu que la configuration de la page Web avait été gérée par Google.

Le français est toutefois peu présent sur celle-ci, qui propose aux internautes de mener «Votre entrevue avec Prime Minister Harper» (sic). Les instructions pour poser les questions ou pour voter sur ces dernières sont aussi toutes en anglais.

Ce transfert du fardeau de la responsabilité vers le géant de l'Internet a fait tiquer un professeur en communications de l'Université d'Ottawa, car «c'est une excuse qui ne tient pas la route», selon lui.

«A partir du moment où tu utilises un outil de cet ordre-là, tu es bien entendu parfaitement au courant des tenants et aboutissants de cette plateforme-là. Et de passer la patate chaude à Google, je trouve ça très petit», a affirmé Pierre C. Bélanger, en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.

«Ce serait la première fois que j'entends que Google s'immisce de façon aussi directe dans la constitution du contenu», a-t-il ajouté, perplexe quant à l'explication du bureau du premier ministre.

De plus, voilà une occasion ratée de faire son entrée sur cette nouvelle plateforme, selon M. Bélanger.

«De la part d'un chef d'Etat canadien, de faire des initiatives de cette ampleur-là sur le plan médiatique de façon unilingue, que ce soit en anglais ou en français, est à peu près inexcusable. C'est le genre de bourde en 2010 qui est difficilement compréhensible», a-t-il argué.

Du même avis, un dénommé Tom, de Gaspé, a posé la question 959: «M. Harper, pourquoi n'y a t-il pas de service français adéquat pour cette entrevue et un programme traducteur de l'anglais vers le français comme celui imposé aux francophones?».

L'internaute s'y est même repris une dizaine de fois, en anglais, pour demander «où se trouve le français dans ce forum».

Les questions en français ont toutes été traduites en anglais par Google, mais le même service n'a pas été appliqué 1768 autres aux requêtes.

Accueillies par de nombreux votes négatifs, les questions de Tom risquent de demeurer sans réponse, mardi soir, alors que le premier ministre répondra à une dizaine des questions les plus populaires dans la langue dans laquelle elles ont été posées.

La faible réponse des francophones à M. Harper pourrait cependant simplement s'expliquer par le niveau d'intérêt de ceux-ci à la politique fédérale, selon un politologue de l'Université du Québec à Montréal.

«Il y a un manque d'intérêt général à l'endroit du gouvernement fédéral (...) Et la cote de popularité des conservateurs (dans les sondages) est très basse; donc que les Québécois ne se sentent pas interpelés par une initiative de M. Harper, il n'y a rien de vraiment étonnant là-dedans», a estimé Yves Bélanger.

La réplique du premier ministre, mardi soir, devrait durer près d'une demi-heure.

Les internautes lui ont posé des questions sur une foule de sujets, allant de l'économie, l'environnement, l'avortement, le registre des armes à feu, ou la criminalité, aux droits de la personne, aux régimes de retraite, et à la réforme des Communes et du Sénat.

Plusieurs ont aussi questionné le premier ministre sur la légalisation de la marijuana, un sujet qui a eu une telle popularité que M. Harper risque bien de s'y adresser, selon son entourage.

D'autres enjeux, qui font présentement des vagues à la Chambre des communes, ont également été abordés, que ce soient les changements climatiques, l'harmonisation de la taxe de vente, ou encore les documents réclamés par l'opposition dans le dossier des détenus afghans.