L'ex-premier ministre libéral Jean Chrétien gardera un oeil sur les gouvernements qui se succéderont car son portrait ornera désormais, et pour toujours, un corridor du parlement canadien.

Dans une salle du parlement pleine à craquer, où plusieurs ont dû rester debout, une cérémonie a eu lieu, mardi, précédant l'accrochage de la toile de ce politicien qui compte 40 années de vie politique.

L'arrivée de Jean Chrétien dans la salle a été accueillie par des applaudissements mais aussi par un slogan souvent scandé par les libéraux à son époque: «Quatre autres années!»

Jouant avec les mots, puisqu'en anglais l'accrochage d'un tableau s'appelle une «pendaison», le premier ministre Stephen Harper n'a pu s'empêcher de lancer à la blague que «pour plusieurs de mes prédécesseurs du Parti conservateur, cela fait longtemps que l'on aurait dû pendre Jean Chrétien!»

Ne se laissant pas démonter par son ancien adversaire politique, M. Chrétien lui a plus tard répliqué avec cet avertissement: «Un jour, vous serez aussi pendu!»

Un leader fort, un fier Québécois, un ardent défenseur d'un Canada uni, un être vraiment à part, Stephen Harper n'a pas lésiné sur les compliments pour faire l'éloge du «petit gars de Shawinigan».

Il a ainsi rendu hommage à toutes les années qu'il a passées au service du Canada: «Certains disent souvent que notre but en politique c'est de se faire élire. Que c'est de cette façon qu'on mesure notre succès. Alors rares sont ceux qui ont eu autant de succès que Jean Chrétien», a affirmé Stephen Harper, soulignant que M. Chrétien a fait élire trois gouvernements majoritaires successifs.

Résolument moderne, la peinture montre un Jean Chrétien debout, tenant ses lunettes à la main, la silhouette se détachant d'un fond jaune serin. M. Chrétien arborait mardi le même habit noir et la même cravate rouge que sur son portrait. La pose est élégante mais un brin austère pour un premier ministre que plusieurs ont qualifié de jovial et de bon vivant.

Âgé de 76 ans, toujours alerte bien qu'amaigri, l'ancien premier ministre a d'abord relaté son arrivée sur la colline parlementaire en 1963, un moment «important, émouvant et rempli de fierté».

Chrétien défend l'honneur de la classe politique

Jean Chrétien a aussi saisi l'occasion pour défendre l'honneur et les accomplissements de la classe politique canadienne qui, selon lui, est malmenée par des électeurs cyniques et peu reconnaissants.

Il a souligné que les politiciens travaillent très fort. Selon lui, malgré quelques pommes pourries, ils représentent un groupe très honnête dépeint à tort comme une bande d'arnaqueurs.

Celui qui est fier d'avoir été un politicien de carrière a aussi évoqué le fait que les politiciens au pouvoir ont essuyé les critiques parce qu'ils nomment en poste des gens qu'ils connaissent.

«Lors des soupers de financement pour le Parti libéral, les gens ne donnaient pas d'argent pour être nommés juges ou obtenir un contrat», a-t-il lancé, faisant vraisemblablement allusion à la commission d'enquête qui vient d'être déclenchée au Québec sur le processus de nomination des juges.

«Ils venaient pour manger du poulet caoutchouteux et parce qu'ils croyaient en la démocratie», a-t-il ajouté.

«C'est vraiment terrible aujourd'hui parce que si vous connaissez quelqu'un, cette personne est disqualifiée pour un emploi», a-t-il poursuivi.

«En théorie, on devrait nommer quelqu'un qu'on ne connaît pas. Et si quelque chose arrive, on n'aurait qu'à dire: "Ce n'est pas de ma faute, je ne le connaissait pas"», a-t-il commenté sous des applaudissements timides.

Les chefs des quatre principaux partis politiques actuels étaient présents à la cérémonie, comme de nombreux membres du Parti libéral et des chefs autochtones tels que Max Gros-Louis.

«C'est le maître», a déclaré le chef actuel du Parti libéral, Michael Ignatieff, en quittant la cérémonie.

«C'est la journée de Jean et la défense de la vie publique, cela m'a beaucoup touché. C'est l'affectation et le respect à travers les partis politiques. C'est un grand moment», a-t-il laissé tombé, visiblement heureux de l'hommage rendu à l'ancien chef de son parti.

Le 20e premier ministre du Canada a été élu au parlement pour la première fois en 1963. Chef du Parti libéral à compter de 1990, il l'a porté au pouvoir en 1993 alors qu'il devenait premier ministre, et l'y a maintenu aux élections de 1997 et de 2000. Il a délaissé la politique en 2003.

Après avoir fait tomber le rideau qui recouvrait son portrait, quelque sept années après celui qu'il a fait tomber sur sa vie parlementaire, Jean Chrétien a conclu son allocution comme il dit l'avoir toujours fait: «Vive le Canada!».