La vie de politicien impose d'immenses sacrifices, et la population n'en a pas suffisamment conscience, estime l'ancien premier ministre libéral Jean Chrétien.

Alors qu'était dévoilé hier son portrait officiel, qui a rejoint ceux de ses 19 prédécesseurs dans le couloir principal du parlement, M. Chrétien a pris la défense des politiciens, qui font parfois un boulot ingrat.

 

«Vous travaillez fort. Vous êtes dévoués. Vous avez abandonné vos emplois pour être élus. Vous n'êtes jamais sûrs d'être réélus. Et après, vous devez vous rebâtir une vie, a souligné l'ancien premier ministre. Les gens ne pensent pas à tout ça. Moi, je sais. Ma femme, ma famille savent à quel point c'est dur d'être politicien.»

«C'est parce qu'il y a tous ces hommes et femmes qui ont dévoué leur vie au Canada que nous avons un si merveilleux pays», a-t-il ajouté dans un long plaidoyer pour le service public.

Premier ministre de 1993 à 2003, M. Chrétien a raconté qu'à ses débuts en politique, en 1963, le Canada était souvent comparé à l'Argentine. «Maintenant, les conditions de vie sont six fois meilleures ici que là-bas. Et tout ça avec de mauvais politiciens? Imaginez si les politiciens avaient été bons!» a-t-il lancé avec l'humour sarcastique qui est depuis longtemps sa marque de commerce.

L'ancien chef libéral s'est même porté à la défense de Jean Charest, à Québec, pris dans une controverse au sujet de la nomination des juges et des contributions aux partis politiques. «La situation est rendue terrible. On a l'impression que si on connaît quelqu'un, ça le disqualifie, a souligné M. Chrétien. Un premier ministre doit maintenant nommer à des postes des gens qu'il ne connaît pas. Parce que s'il a pris un café avec la personne candidate, elle perd soudainement toute habileté à servir le bien public.»

Bon prince, le premier ministre Stephen Harper a vanté, dans son discours, les succès de son adversaire d'autrefois, un des rares premiers ministres canadiens à avoir obtenu trois gouvernements majoritaires.

«Il savait ce que ça prenait pour gagner», a dit M. Harper, ajoutant dans un clin d'oeil que c'était peut-être plus facile lorsque la droite, divisée, s'entredéchirait.

L'actuel premier ministre a vanté le courage, la cohérence et la force de caractère de son prédécesseur tout en lui envoyant quelques piques au passage. M. Chrétien lui a rendu la monnaie de sa pièce en menaçant, rieur, de prendre exemple sur le Britannique William Gladstone, revenu en politique à l'âge de 83 ans pour son quatrième mandat comme premier ministre.

Sur son portrait officiel, M. Chrétien, aujourd'hui âgé de 76 ans, a un regard sérieux, voire sévère, qui tranche avec le jaune or vif du tableau. L'artiste, Christan Nicholson, a expliqué que c'est la quatrième version du portrait qui a été retenue, les autres, notamment une version représentant «le p'tit gars de Shawinigan» devant un paysage de la région, ayant été jugées trop peu protocolaires.

«M. Chrétien aime l'art minimaliste. C'est lui qui voulait un fond uni, et c'est sa fille, France, qui a choisi la couleur jaune», a expliqué M. Nicholson.

Alliance PLC-NPD?

S'il a quitté la vie publique en 2003, Jean Chrétien ne s'est jamais beaucoup éloigné de la joute politique. Appelé à négocier, avec son ancien adversaire néo-démocrate Ed Broadbent, l'accord de la coalition entre le PLC et le NPD qui a failli renverser le gouvernement Harper à l'automne 2008, M. Chrétien n'écarte pas, encore aujourd'hui, une éventuelle alliance des deux formations politiques.

Mais il est resté vague sur l'état de ses discussions actuelles avec M. Broadbent alors que le chef actuel du Parti libéral, Michael Ignatieff, a officiellement fermé la porte à toute possibilité de coalition avec les néo-démocrates. «On n'a pas de mandat et on ne négocie rien», a tenu à préciser l'ancien premier ministre, interrogé sur les rumeurs persistantes à ce sujet.