L'Alberta est devenue la première province à prendre officiellement position contre le projet de loi exigeant le bilinguisme des juges de la Cour suprême, hier.

Dans un texte publié dans l'Edmonton Journal, la ministre de la Justice de l'Alberta, Alison Redford, écrit que son gouvernement est même en train d'examiner la constitutionnalité du projet de loi C-232, une initiative privée du député néo-démocrate Yvon Godin, actuellement débattu au Sénat.

 

Selon elle, le projet de loi pourrait aller jusqu'à modifier la composition de la Cour et donc nécessiter l'approbation des provinces et du Parlement dans le cadre d'une véritable consultation constitutionnelle.

Le sénateur conservateur Claude Carignan, que le gouvernement Harper a chargé du projet, trouve l'argument sensé. «Mais quelle sera la position du gouvernement là-dedans, je ne sais pas», s'est-il empressé d'ajouter.

«D'après ce que j'ai compris, ils ne se prononceront pas, a-t-il poursuivi. C'est une question délicate et ça lie le futur. Alors ils vont peut-être attendre.»

Le porte-parole du ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, n'a pas répondu aux questions de La Presse à ce sujet.

S'il était adopté, ce projet de loi obligerait les juges à comprendre l'anglais et le français sans l'aide d'un interprète.

«Interprétation créative»

Selon le sénateur Carignan, la déclaration de la ministre de la Justice de l'Alberta illustre à tout le moins l'un des risques que pose le projet de loi C-232, auquel le gouvernement Harper s'oppose, mais que tous les partis de l'opposition veulent adopter.

«Si on remet en cause la composition de la Cour suprême, ça signifie que n'importe quelle province ou personne aurait intérêt à questionner la Cour suprême. Une personne qui se ferait entendre là pourrait aussi contester le projet de loi en disant: j'ai été entendu par un tribunal qui n'était pas constitué conformément à la Constitution», a dit le sénateur.

Un porte-parole de la ministre Redford n'a pas voulu spéculer quant au réalisme d'un tel scénario.

Le doyen de la faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa, Sébastien Grammond, doute cependant que l'argument d'une consultation constitutionnelle tienne la route: «L'argument de l'Alberta est basé sur une interprétation que j'appellerais créative de l'article 41d), mais je pense que la plupart des gens ne sont pas d'accord avec cette interprétation.»

Dans une lettre publiée récemment dans les journaux, le professeur Grammond a relaté comment, lors de sa dernière plaidoirie à la Cour suprême, il a pu remarquer à quel point ses propos avaient été déformés par le service de traduction de la Cour.

«Je n'avais pas de juge anglophone, alors ça n'a pas posé de problème, a-t-il dit à La Presse. Mais je me suis écouté par la suite et il y a des choses qui étaient traduites de façon très imprécise; on ne comprenait pas exactement ce que ça voulait dire.»

>>> Pour joindre Hugo de Grandpré: hdegrand@lapresse.ca