Les partis de l'opposition estiment que le gouvernement Harper envoie des signaux contradictoires au sujet de sa politique concernant la peine de mort à l'étranger.

D'un côté, il cherche à empêcher qu'on condamne à mort les pirates somaliens capturés par les Forces armées canadiennes et transférés au Kenya.

De l'autre, il maintient sa politique controversée de traiter au cas par cas les appels de Canadiens qui risquent la peine de mort dans les prisons à l'étranger et qui tentent d'obtenir la clémence.

Des documents que La Presse a obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information révèlent que le Canada a signé le 12 janvier 2010 un protocole d'entente avec le Kenya, où la peine de mort est toujours légale, afin d'encadrer le transfert de pirates somaliens capturés par les soldats canadiens dans le cadre des opérations internationales contre les actes de piraterie dans la Corne de l'Afrique.

Depuis 2008, le Canada a déployé trois frégates dans la région. En 2008, le NCSM Ville de Québec a escorté des navires qui transportaient de la nourriture pour le Programme alimentaire mondial. Le NCSM Winnipeg a pour sa part contribué aux opérations de lutte contre les actes de piraterie en 2009. Mais les pirates capturés par les soldats canadiens l'an dernier ont été mis en liberté parce qu'il n'y avait pas d'entente entre le Canada et le Kenya.

Le NCSM Fredericton a fait partie, du mois de novembre 2009 au mois d'avril 2010, de la flotte navale permanente de l'OTAN mise sur pied pour faire échec aux pirates. Ce navire se trouve toujours dans la région, mais il est maintenant affecté à des opérations antiterroristes.

«Le gouvernement du Canada a signé un protocole d'entente avec le Kenya qui lui permet de transférer au Kenya les présumés pirates qu'il capture dans la région afin qu'ils fassent l'objet d'une enquête et d'éventuelles poursuites en vertu du droit kényan lorsqu'il existe suffisamment de preuves contre eux pour porter des accusations criminelles», peut-on lire dans des notes d'information préparées à l'intention du ministre de la Défense, Peter MacKay.

«Les accusés ne seront condamnés qu'à la suite d'un procès. Le protocole d'entente interdit les condamnations à mort», ajoute-t-on dans les documents datés du 3 mars 2010.

Politique modifiée

Or, le gouvernement Harper a modifié la politique du Canada en matière de clémence dans le cas des Canadiens condamnés à mort à l'étranger après son arrivée au pouvoir.

Ce changement, annoncé par l'ancien ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier en octobre 2007, prévoit que le Canada «continuera de s'interroger sur la pertinence de demander la clémence en faveur de Canadiens qui risquent la peine capitale à l'étranger, et ce, en fonction du bien-fondé de chaque cas».

Auparavant, le gouvernement canadien réclamait systématiquement la clémence pour les Canadiens condamnés à mort à l'étranger. La peine de mort a été abolie au pays le 14 juillet 1976.

Le Canada est devenu, selon Amnistie internationale, le seul pays, parmi ceux qui ont aboli la peine capitale, à ne pas solliciter la clémence pour ses citoyens qui encourent ce châtiment aux États-Unis.

Ce changement de politique visait notamment le cas de Ronald Smith, un Albertain condamné à mort en 1983 pour avoir tué deux autochtones en 1982 au Montana. Ce dernier a contesté la décision du gouvernement Harper devant la Cour fédérale et un juge lui a donné raison en mars 2009. Le gouvernement a décidé de se plier à ce jugement et demande à nouveau la clémence pour M. Smith. En tout, quatorze Canadiens sont susceptibles d'être exécutés à l'étranger (neuf en Chine, trois aux États-Unis, dont M. Smith, et deux en Arabie Saoudite).

Selon le député Dan McTeague, critique libéral en matière d'affaires consulaires, le gouvernement Harper entretient la confusion : «Cela démontre très clairement l'hypocrisie des conservateurs. (...) C'est embarrassant. C'est une politique équivoque. Ils veulent faire à l'étranger ce qu'ils ne peuvent pas faire au Canada. Cela démontre un manque de cohérence de leur politique étrangère.»

Le député néo-démocrate Paul Dewar a abondé dans son sens. «Leur politique se résume à trier sur le volet les cas de condamnations à la peine capitale», a-t-il affirmé.

Au bureau du premier ministre Stephen Harper, on affirme que les partis de l'opposition ont tort de faire un parallèle entre l'accord signé avec le Kenya et la politique en matière de clémence. «Le Canada ne renvoie pas d'individus vers des pays où ils pourraient encourir la peine de mort. Le protocole d'entente avec le Kenya est tout à fait différent de la politique du gouvernement en matière de clémence. La décision du gouvernement de réclamer la clémence est au cas par cas et tient compte de facteurs tels que le système judiciaire du pays et la tenue d'un procès équitable», a affirmé Andrew MacDougall, porte-parole du premier ministre.

- Avec la collaboration de William Leclerc