Après des mois de critiques, le dépôt d'une demande d'injonction et un front commun des partis d'opposition à Ottawa, le gouvernement fédéral a reculé pour une première fois dans le dossier du formulaire détaillé obligatoire de recensement, et a annoncé mercredi qu'il ajouterait deux questions en matière de langues officielles au questionnaire court.

Le ministre de l'Industrie, Tony Clement, a plaidé, en entrevue téléphonique, que le gouvernement procédait à ces changements afin de «respecter ses obligations légales, en vertu de la Loi sur les langues officielles».

Ce recul survient quelques heures après que la Cour fédérale eut accepté d'entendre de façon accélérée la requête de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), visant à obtenir une injonction contre le gouvernement fédéral afin de l'empêcher d'aller de l'avant avec sa décision de rendre volontaire le formulaire long.

Le gouvernement de Stephen Harper cède ainsi aux critiques qui ont été émises quant à son obligation de respecter la Loi sur les langues officielles, même si le ministre Clement a nié que la décision du tribunal fédéral ait quelque chose à voir avec son annonce mercredi.

Mais la bataille n'est de toute façon toujours pas gagnée pour les troupes conservatrices, qui n'ont pas l'intention de revenir sur leur décision de rendre le formulaire détaillé non-obligatoire.

Des statisticiens, des experts, des membres de la société civile et les partis d'opposition ainsi que certains gouvernements provinciaux réclament que le formulaire détaillé de recensement demeure obligatoire, car autrement le fédéral ne détiendra plus des données aussi fiables qu'auparavant, arguent-ils tous.

La FCFA, elle, estime qu'en retirant le caractère obligatoire du formulaire détaillé, le gouvernement Harper contrevient à la Loi sur les langues officielles. Car le formulaire long contient cinq questions portant sur la langue officielle qu'utilisent les Canadiens à domicile et au travail, des données qui servent à déterminer à quels endroits au pays les services seront offerts aux minorités linguistiques, plaide la Fédération.

Le ministre Clement a indiqué, à titre de compromis, mercredi, que le questionnaire court, qui demeure quant à lui obligatoire, compterait désormais deux questions supplémentaires.

Les Canadiens se feront désormais demander s'ils parlent «suffisamment bien le français ou l'anglais pour mener une conversation», la langue qu'ils parlent le plus souvent à la maison, et s'ils parlent régulièrement d'autres langues.

Jusqu'à maintenant, le questionnaire court de recensement ne posait qu'une seule question sur les langues officielles aux répondants, à savoir quelle est la langue qu'ils ont apprise en premier lieu à la maison et qu'ils comprennent encore.

«Nous avons essayé d'être justes et raisonnables, et si cela veut dire qu'il faut faire un changement qui est logique, alors nous avons fait ce changement», a défendu le ministre Clement, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Mais si son gouvernement a reculé une première fois, les compromis s'arrêteront là, a-t-il certifié.

«Je pense que nous sommes très à l'aise avec ce que nous avons maintenant», a-t-il martelé.

La FCFA a refusé de commenter les changements apportés aux questions linguistiques, en raison de sa poursuite judiciaire qui est actuellement en cours.

Outre l'ajout de questions, les conservateurs déposeront par ailleurs un projet de loi, à la rentrée parlementaire, afin de décriminaliser «toutes les enquêtes à participation volontaire administrées par le gouvernement», y compris le recensement, «afin de lever les menaces d'emprisonnement», a précisé M. Clement dans sa déclaration écrite.

Les troupes de Stephen Harper plaident, depuis qu'ils ont annoncé le changement au recensement, fin juin, qu'il est déraisonnable de menacer les Canadiens d'une peine de prison s'ils ne répondent pas au formulaire détaillé, et ce, même si les partis d'opposition se sont maintes fois dits d'accord pour éliminer cette sanction.

Le gouvernement arguait toutefois également que les questions «intrusives» du formulaire long de recensement portaient atteinte à la vie privée des citoyens canadiens.

«C'était une objection en deux parties», a expliqué le ministre Clement, en soutenant que la vie privée devait encore être protégée.

Mais les partis d'opposition, appuyés de nombreux experts et d'anciens dirigeants de Statistique Canada, répliquent qu'un questionnaire volontaire n'offrira pas la même qualité de données, puisque les réponses seront inégales parmi les différents groupes sociaux du pays.

Et les changements apportés par les conservateurs, mercredi, ne sont pas suffisants à leurs yeux. Car le gouvernement ne fait que tenter de limiter les dégâts, ont-ils déploré sur différentes tribunes, en soirée.

Le gouvernement devra donc faire face aux libéraux, bloquistes et néo-démocrates, qui semblent pour l'instant unis dans leur souhait de le forcer à reculer. En point de presse, mercredi matin, libéraux et néo-démocrates ont annoncé qu'ils attendraient les conservateurs de pied ferme, quand ils retrouveront les banquettes de la Chambre des communes, le 20 septembre.

Quelques jours plus tard, le gouvernement Harper sera confronté à la FCFA, qui a gagné son pari et pourra plaider sa cause dès la fin septembre, en Cour fédérale.

Dans sa décision rendue mercredi matin, la juge Roza Aronovitch fait valoir que la Fédération avait bel et bien démontré l'urgence de trancher quant à la constitutionnalité de modifier le processus de recensement, car il s'agit d'une «question d'intérêt public importante relative aux droits linguistiques des Canadiennes et des Canadiens».

Et afin de permettre à la Fédération d'obtenir un jugement avant la mi-octobre - date limite, selon un retraité de Statistique Canada cité par la FCFA, pour que la décision du gouvernement puisse être renversée-, la juge Aronovitch a statué que l'audition de sa demande de contrôle judiciaire serait entendue les 27 et 28 septembre.