Stephen Harper s'intéresse de près au dossier de Sun TV News. Des notes de synthèse sur la requête de Quebecor Media devant le CRTC, pour la création d'une nouvelle chaîne d'information continue, ont été préparées et remises au premier ministre en juillet dernier, a appris La Presse dans des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Les notes de synthèse sont des documents concis qui servent à résumer les éléments clés d'un dossier chaud. Le premier ministre en reçoit tous les jours, sur des sujets d'actualités, de sécurité nationale, d'enjeux économiques ou autres.

Or, le patron de cette future chaîne d'information continue, ouvertement de droite et surnommée Fox News du Nord depuis l'annonce de sa création, en juin, est l'ancien directeur des communications du premier ministre Harper, Kory Teneycke.

La Presse Canadienne a par ailleurs révélé en juin dernier que le premier ministre Harper avait tenu une rencontre secrète au printemps 2009 avec Rupert Murdoch et Roger Ailes, respectivement propriétaire et président de la chaîne américaine Fox News.

Toujours selon La Presse Canadienne, M. Teneycke avait assisté à la rencontre, quelques mois avant de quitter le bureau du premier ministre (à l'été 2009) et peu de temps avant d'être engagé par le propriétaire de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, pour explorer, puis implanter le concept de Sun TV News.

L'opposition à Ottawa craint un risque d'ingérence dans le dossier.

«C'est très inquiétant que le premier ministre veuille savoir personnellement ce qui se passe dans ce dossier, a jugé le député du NPD, Charlie Angus. Le premier ministre ne devrait pas mettre son petit doigt près de ce dossier. Le conflit d'intérêts est tellement clair entre M. Harper et M. Teneycke!»

CRTC

Au mois de juillet, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a refusé d'accorder une licence de catégorie 1 (qui oblige les câblodistributeurs à inclure la nouvelle chaîne dans un ou plusieurs des bouquets qu'ils offrent aux abonnés).

Quebecor Media est revenu à la charge et a fait cette semaine une nouvelle demande de licence, de catégorie 2 cette fois (pas d'obligation pour les câblodistributeurs). Mais dans sa demande, l'entreprise réclame une exception à la règle pour que les distributeurs soient obligés d'offrir Sun TV News pendant les trois premières années. L'audience devant le CRTC à ce sujet doit se tenir le 19 novembre prochain.

«J'ai confiance dans l'indépendance du CRTC, a estimé le député libéral Pablo Rodriguez. Mais ma crainte, c'est que Stephen Harper, si le CRTC ne prend pas les décisions qu'il souhaite, réussisse à le déstabiliser comme il l'a fait avec d'autres organismes.»

«Je ne fais pas confiance au premier ministre, qui pourrait éventuellement décider de remplacer des personnes à la tête du CRTC pour obtenir ce qu'il veut, a-t-il ajouté. Et ça, dans le système démocratique canadien, c'est inacceptable.»

Au bureau du premier ministre, on rétorque qu'on ne commente pas les notes de synthèse préparées pour M. Harper. «Le premier ministre reçoit du Conseil privé des synthèses d'information sur de nombreux dossiers», s'est contentée de répondre une porte-parole, Sara MacIntyre, qui a refusé de dire s'il s'agissait d'une pratique commune d'obtenir des notes sur une demande de licence au CRTC, un organisme indépendant du pouvoir politique.

Selon Marc-François Bernier, professeur au département de communication de l'Université d'Ottawa et spécialiste en éthique du journalisme, ce n'est pas d'hier que les propriétaires des grands médias au Canada sont proches des pouvoirs politiques.

«Ce qui m'inquiète davantage, c'est le sans-gêne avec lequel les conservateurs semblent vouloir le faire maintenant, dit M. Bernier. Ça commence à ressembler à ce qui se fait en France, où le pouvoir politique est très, très proche du pouvoir médiatique, et ça, ça soulève des doutes. Ça va alimenter la suspicion du public à l'égard des médias.»

Selon lui, toute ingérence politique dans le dossier de Sun TV News, par des nominations partisanes ou par des pressions implicites, sonnerait le glas de l'indépendance du CRTC.

«On a un système de réglementation censé être à l'abri des pressions et de la politique, a-t-il expliqué. Soit on change le système et on dit clairement qu'on va se faire une nouvelle Pravda (publication officielle du parti communiste à l'époque de l'Union soviétique, symbole du contrôle de l'information), soit on respecte les règles du jeu. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux.»

Cette semaine, la dénonciation de Sun TV News par l'auteure Margaret Atwood, qui a annoncé qu'elle avait signé une pétition en ligne contre la nouvelle chaîne, a piqué au vif l'équipe de Sun Media. En plus d'une prise de bec en règle sur Twitter entre Mme Atwood et le chef de bureau David Akin, deux chroniques en deux jours ont été écrites: l'une dénonce les instigateurs de la pétition, le groupe de gauche Avaaz.org, et l'autre, un commentaire éditorial cinglant de Kory Teneycke, accuse la romancière de trahison.

Avec la collaboration de William Leclerc