Quand a été annoncé en juin le départ prochain de Michaëlle Jean, le Globe and Mail ne l'a pas ménagée. Quand il s'agira de lui trouver un successeur, pouvait-on lire dans le quotidien, -chose qui n'était pas encore faite à ce moment-là- Stephen Harper serait bien avisé «de viser plus haut».

«Son départ va permettre la nomination d'un individu véritablement méritant et intellectuellement rigoureux, tel que le commande cette fonction.»

Les «qualités populistes» de Mme Jean, était-il encore écrit, ne pouvaient suffire à elles seules: «La journaliste de télévision au profil limité» qu'elle était n'avait jamais su «susciter le respect des élites politiques» comme le commandait son rôle.

Dans les jours qui ont suivi, le Globe and Mail, bon joueur, a publié les réactions de ses lecteurs unanimement outrés. «À la suite de votre très inélégant éditorial, vous faites référence aux élites politiques canadiennes. J'ai demandé autour de moi, et personne n'a jamais entendu parler de cela, des élites politiques canadiennes.»

Presque au même moment, bouclant la boucle, Jean-Daniel Lafond, le mari de Michaëlle Jean, accordait en France une entrevue au magazine L'Express qui n'a pas manqué de faire des vagues de ce côté de l'Atlantique. Le séparatisme, disait-il, était une «aberration géopolitique», ajoutant: «Je n'ai jamais été fasciné par le nationalisme, mais j'ai compris que je ne pouvais pas ne pas vivre avec. C'est autre chose. Je ne me suis jamais senti à l'aise avec ce nationalisme.»

De toute façon, disait-il plus loin, «les vrais premiers Québécois, ici, ce sont des néo-Québécois: ma femme est née en Haïti, moi en France. C'est une image accomplie de l'immigrant.» Cette nouvelle sortie, littéralement «applaudie» par le National Post, a rappelé à chacun la controverse qui avait secoué le couple à son arrivée à Rideau Hall.

Séparatiste ou non?

Très vite on avait montré un documentaire réalisé par Jean-Daniel Lafond (qui allait devenir son époux) dans lequel on voit Michaëlle Jean porter un toast à l'indépendance au cours d'une rencontre à laquelle participait l'ex-felquiste Pierre Vallières. Dans le livre La Manière nègre ou Aimé Césaire, chemin faisant: genèse d'un film, Michaëlle Jean écrivait que «l'indépendance, ça ne se donne pas, ça se prend», tandis que Lafond, lui, déclarait: «Alors, un Québec souverain? Un Québec indépendant? Oui, et j'applaudis des deux mains et je promets d'être de tous les défilés de toutes les Saint-Jean.»

Le Canada anglais a bondi. Comment? Une séparatiste au poste de gouverneur général? Michaëlle Jean avait nié, Jean-Daniel Lafond avait nié, puis, sortant de son carton, avait faite cette autre surprenante déclaration au sujet de la nomination de sa femme. «J'avais déjà imaginé que ce serait possible. J'ai pensé effectivement que s'il y avait de l'audace, on mettrait une femme assez jeune, noire et communicatrice.»

C'est là-dessus qu'est entrée en poste Michaëlle Jean. Entre le lever et la tombée du rideau, Jean-Daniel Lafond s'est effacé et la gouverneure générale a réellement pris le devant de la scène.

Il y a bien sûr eu quelques controverses. Michaëlle Jean aurait légèrement déplacé géographiquement les Rocheuses. À un autre moment, elle se serait un peu méprise sur la nature exacte de son rôle, se décrivant à tort (et instruisant du coup une bonne partie de la population canadienne qui croyait de même) comme le chef d'État. Deux fois plutôt qu'une, elle a été prise entre l'arbre et l'écorce et a dû permettre à Stephen Harper de proroger le Parlement.

Outre-mer, elle a brillé, notamment en 2008, où son charisme a rendu les Français gagas. Dans la presse française, Michaëlle Jean était dépeinte comme «un mélange élégant de Lady Diana et de Nelson Mandela», «désarmante de charme et de simplicité» avec son «port altier» et son «regard pétillant».

Ici, elle a frappé dans le mille en revêtant l'uniforme militaire le 11 novembre 2009.

Une chef émotive

Puis, est survenu le tremblement de terre en Haïti. On a alors vu Michaëlle Jean, touchée en plein coeur, pleurer publiquement.

Dans une chronique qui se voulait sympathique, cette fois, le Globe and Mail a écrit que cette tragédie aura mis en lumière le malaise que suscite parfois Michaëlle Jean au pays.

«On appelle cela l'émotion. Elle aura été, et de loin, la vice-reine la plus ouverte et la plus émotive de l'histoire. (Or), plus vous montez dans la chaîne alimentaire politique et publique, plus il vous faut du courage pour afficher vos émotions. Et ce n'est pas le genre de courage qui est le plus universellement apprécié à Ottawa», pouvait-on lire.

«Sa passion a transcendé le protocole», tranche pour sa part Benoît Pelletier, ex-ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement de Jean Charest. Elle a redoré le blason du rôle de gouverneur général au point de donner le goût aux Canadiens anglais de s'approprier ce symbole, de le canadianiser, en quelque sorte, peu importe ce qu'il adviendra de la monarchie.»

Si les avis des constitutionnalistes étaient partagés, à l'époque, Benoît Pelletier estime qu'elle n'a commis aucun impair lors des deux demandes de prorogation. «Quand un premier ministre demande une prorogation, le gouverneur général n'a à peu près pas d'autre choix que de lui obéir. Peut-être a-t-il une petite marge de manoeuvre quand la demande est en fait un stratagème pour éviter une défaite parlementaire, mais encore là, cette discrétion est vraiment très mince et très théorique dans les faits.»

Pour le reste, si les accointances souverainistes de Michaëlle Jean l'ont peut-être rendue suspecte au départ au Canada anglais, elle a bien rebondi ensuite, enchaîne M. Pelletier. «Le fait qu'elle ait choisi pour devise de ses armoiries de Briser les armoiries a beaucoup plu, tout comme cette délicate attention dont elle a fait montre en revêtant l'uniforme militaire le jour du Souvenir.»

«Ce qu'elle dégage l'a finalement emporté sur tout le reste, avance pour sa part le politologue Jean-Herman Guay. Certains lui ont reproché son trop-plein de larmes, son trop-plein d'émotion pour une gouverneur générale, mais il faudrait se brancher! On n'arrête pas de reprocher aux politiciens d'être trop en contrôle!»

Et contrairement à certains autres gouverneurs généraux ou lieutenants-gouverneurs, poursuit M. Guay, elle ne s'est jamais fait reprocher de trop dépenser.

Au final, conclut-il, «elle a joué son rôle avec un charme certain, avec une certaine hauteur».