Le ministère des Anciens Combattants a enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels dans la manipulation du dossier du vétéran Sean Bruyea, a conclu jeudi la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart.

Mme Stoddart avait ouvert une enquête en juillet 2009, après que le retraité des Forces canadiennes eut appris, en consultant son propre dossier, que des informations médicales et financières hautement personnelles le concernant s'étaient retrouvées en 2006 dans des notes de synthèse remises à l'ancien ministre des Anciens Combattants, Greg Thompson.

M. Bruyea est un ardent défenseur des droits des anciens combattants et critique ouvertement les politiques du gouvernement fédéral en la matière. Il estime que les fonctionnaires du Ministère se sont servis des informations largement diffusées, notamment sur sa santé psychologique, pour miner sa crédibilité.

«Ce que nous avons constaté dans le cadre de cette affaire est alarmant, a souligné la commissaire dans un communiqué. Les renseignements personnels ont été inclus dans une note d'information ministérielle sur les activités de défense des droits de l'ancien combattant. Un tel usage est complètement inapproprié.»

Mme Stoddart recommande au Ministère d'améliorer les pratiques et politiques de gestion des renseignements personnels, de s'assurer que seuls les fonctionnaires qui ont vraiment besoin de savoir ces informations y aient accès et de fournir aux employés la formation nécessaire pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise.

«Grave et inacceptable»

À la lumière des conclusions inquiétantes de son enquête, la commissaire a entrepris une vérification dans l'ensemble du Ministère pour évaluer comment sont gérés les renseignements personnels des vétérans.

L'actuel ministre des Anciens Combattants, Jean-Pierre Blackburn, a rapidement réagi en s'engageant à mettre en oeuvre «immédiatement» les quatre recommandations formulées par la commissaire.

«Ce qui s'est passé est grave et inacceptable et nous allons agir sans délai», a-t-il assuré en point de presse.

Le dossier est très embarrassant pour un gouvernement conservateur qui, d'une part, se présente comme le grand défenseur du travail des soldats canadiens et qui, d'autre part, se veut le garant de la protection de la vie privée, ayant éliminé le questionnaire long du recensement sous prétexte qu'il s'agissait d'une intrusion dans la vie des gens.

Le ministre Blackburn a promis des sanctions, pouvant aller jusqu'au congédiement, contre les fonctionnaires qui se sont rendus coupables d'une telle violation de la vie privée. Mais il a toutefois refusé de présenter des excuses à M. Bruyea, qui se trouvait dans la salle lors du point de presse, arguant qu'il ne peut commenter un cas spécifique qui est devant les tribunaux.

Le retraité des forces armées canadiennes poursuit le gouvernement fédéral et trois employés du ministère des Anciens Combattants pour 400 000$ en dommages et intérêts.

Les larmes aux yeux, M. Bruyea a raconté comment sa femme et lui ont vécu un véritable cauchemar pendant les cinq dernières années.

«Ces violations de ma vie privée nous ont causé souffrance et préjudice et nous ont fait nous sentir humiliés, vulnérables et impuissants, a raconté l'ex-militaire. Pour moi qui ai été blessé en me battant au nom du Canada, il s'agit de la pire des trahisons.»

Le rapport de la commissaire constitue selon lui le premier pas vers une réforme complète des pratiques de gestion des renseignements personnels dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental.

L'avocat et ancien militaire Michel Drapeau, spécialiste de la protection de la vie privée, a jugé que la commissaire Stoddart n'était pas allée assez loin dans sa condamnation du gouvernement, compte tenu de la gravité de la violation commise.

«Je n'ai jamais rien vu de tel, a lancé M. Drapeau. C'est scandaleux, c'est choquant et ça dépasse l'imagination.»

Le NPD a sommé le gouvernement de Stephen Harper de déclencher une enquête publique pour vérifier si de telles violations de la vie privée se produisent dans d'autres ministères.

«Le ministre dit qu'il va changer les choses. On sait déjà ce qu'il va faire: congédier deux ou trois employés pour calmer les critiques, a estimé le chef néo-démocrate, Jack Layton. Ce n'est pas assez. On doit s'excuser. On demande au gouvernement de le faire et de laisser les autorités indépendantes enquêter.»