La classe politique canadienne est sous le choc. Pour la première fois de son histoire, le Canada a échoué à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, malgré une campagne sans précédent dans les semaines qui ont précédé le vote. Paul Heinbecker, ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies, explique les causes et les conséquences de ce rejet.

Q- Quelle est votre lecture de ce qui s'est passé?

R- C'est un recul important pour la politique étrangère du Canada. C'est un jugement de la communauté internationale, qui n'achète pas ce qu'on a voulu lui vendre. Il est impossible de voir ce qui est arrivé de façon positive.

Q- Quelles sont les causes?

R- Nous avons adopté des mesures impopulaires. Plusieurs facteurs ont joué à ce chapitre. Le premier, c'est que nous avons déplacé nos priorités en aide internationale de l'Afrique vers l'Amérique latine, ce qui nous a probablement coûté plusieurs appuis. Des 128 votes qui étaient nécessaires à l'obtention d'un siège, 51 provenaient de pays africains. Puis, le fait que le Canada ait appuyé très fortement la politique de l'actuel gouvernement israélien, très à droite, a probablement mécontenté la communauté arabo-musulmane, qui compte 57 pays. Quand on les combine avec les Africains, ça fait un total d'environ 75 voix (certains entrent dans les deux catégories). Ensuite, il y a la question des changements climatiques. Les petits pays insulaires ne pensent pas que le Canada soit très sensible à leurs intérêts. C'est une vingtaine de pays. Ça commence à faire beaucoup de pays qui ont des raisons d'être déçus du Canada.

Q- Est-ce que les récentes déclarations de M. Ignatieff ont joué un rôle dans la défaite du Canada, comme le prétend le gouvernement?

R- Non, pour deux raisons. Premièrement, ce sont les décisions du gouvernement, pas celles de l'opposition. Espérer qu'il n'y ait jamais de conséquences à ce genre de décisions a toujours été optimiste, voire irréaliste. Deuxièmement, on parle de votants de très haut calibre, qui savent faire la différence entre un chef de l'opposition officielle et un gouvernement, et qui comprennent que les deux peuvent avoir des divergences d'opinions. Personne n'a dit qu'il valait mieux ne pas voter pour le Canada parce que le chef de l'opposition n'aime pas le gouvernement. Je doute que cela ait été un enjeu. C'est plutôt que plusieurs pays membres désapprouvent certaines décisions et sentent une résistance de ce gouvernement face à l'ONU.

Q- Quelles seront les conséquences de cet échec sur la place du Canada sur la scène internationale?

R- C'est un recul. Ce n'est pas la fin du monde. Le soleil va continuer de se lever au matin. Mais je pense que la communauté internationale nous envoie un signal clair: elle estime que nos prises de position sont inadéquates et, en conséquence, elle préfère que d'autres pays siègent au Conseil de sécurité. Pour le Canada, c'est une occasion manquée. Le Conseil de sécurité est le plus important forum de la planète en matière de sécurité, c'est un endroit où faire valoir ses idées et où protéger ses intérêts. Nous avons contribué à la création de cet organisme. Nous avons siégé au Conseil tous les 10 ans, en moyenne, depuis 1948. Les autres membres ont considéré que nous ne sommes pas à la hauteur. C'est très triste.