L'approche du gouvernement Harper face au crime pourrait le forcer à construire de nouvelles prisons, a concédé le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, dans une lettre confidentielle que La Presse a obtenue. Une possibilité qu'il avait jusqu'ici évité d'évoquer publiquement.

Si aucun plan n'a encore été approuvé, au moins un ministre conservateur fait déjà activement campagne pour qu'un nouveau pénitencier soit bâti dans sa région. Le ministre des Anciens Combattants, Jean-Pierre Blackburn, s'est enquis des possibilités en ce sens auprès du ministre Toews au printemps dernier. Vic Toews lui a répondu le 24 août.

«A priori, il me faut vous aviser qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, de plan approuvé pour le développement de nouveaux établissements correctionnels au Québec», a écrit le ministre de la Sécurité publique.

«Pour remédier aux lacunes provisoires en matière de capacité, pouvant découler de l'adoption de dispositions législatives», poursuit le ministre, on mise pour l'instant sur une approche en deux temps: agrandir ou remplacer les établissements existants.

Cette possibilité de remplacer des pénitenciers a d'ailleurs été évoquée il y a quelques semaines, dans un courriel que La Presse a reçu de Service correctionnel Canada (SCC).

«Le SCC travaille à l'élaboration d'un plan à long terme qui tient compte de la nécessité de remplacer certains pénitenciers qui sont utilisés depuis de nombreuses décennies», a confirmé Mélissa Hart, porte-parole de l'organisme chargé d'administrer le système carcéral fédéral. Elle a précisé qu'aucune décision n'avait été prise en ce sens.

Porte ouverte

Jusqu'ici, cependant, le ministre de la Sécurité publique avait toujours été clair et sans équivoque: pas question de bâtir de nouvelles prisons.

Au mois de juin dernier, par exemple, le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, avait noté dans un rapport qu'un seul projet de loi pourrait nécessiter la construction d'une douzaine de nouveaux lieux de détention et des débours supplémentaires de milliards de dollars.

Le ministre Toews avait alors réfuté les conclusions du chien de garde des comptes publics. «Il y aura des unités additionnelles construites dans des facilités existantes, avait-il déclaré. Mais il n'y a aucun besoin de nouvelles prisons à ce stade-ci.»

Or, à peine deux mois plus tard, dans la lettre envoyée au ministre Blackburn, Vic Toews a ouvert la porte à cette possibilité.

«Advenant la nécessité de construire de nouveaux établissements à une date ultérieure, les emplacements seront déterminés sur la base d'un examen de plusieurs facteurs», a-t-il écrit.

Ces facteurs incluent la répartition des délinquants, la proximité des services requis et l'accès à une source fiable de personnel.

«Parallèlement, dans l'hypothèse où il y aurait un besoin de trouver un emplacement pour la construction d'un nouvel établissement, une analyse approfondie sera menée sur les expressions d'intérêts transmises», a ajouté M. Toews.

Campagne active

Malgré la prudence de son collègue, le ministre Blackburn a interprété la lettre comme porteuse d'espoir pour sa région.

«Le ministre Toews m'a fait parvenir une lettre récemment. Il analyse la possibilité d'agrandir les prisons existantes et prévoit même aller de l'avant avec de nouvelles constructions», a annoncé Jean-Pierre Blackburn au Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en septembre.

Optimiste, le député de Jonquière-Alma s'est déjà lancé dans une campagne pour mobiliser des intervenants locaux.

«Avec la mise en place d'un comité régional, l'appui de la CRE et les services que nous pouvons offrir, je crois que nous sommes dans la bonne direction. Mieux notre dossier sera préparé et meilleures seront nos chances. Si on ne fait rien, nous n'aurons absolument rien. Il ne faut pas oublier que la construction d'une prison fédérale aurait des répercussions économiques d'importance pour la région», a-t-il insisté.

M. Blackburn a refusé d'accorder une entrevue à La Presse. Quant à la lettre, «nous n'avons pas l'intention de la rendre publique», a tranché son attachée de presse, Sophie Doucet.

Au bureau du ministre Toews, on a rappelé que, jusqu'ici, le plan pour faire face à la hausse de la population carcérale consistait à agrandir les pénitenciers existants et ne prévoyait pas la construction de nouvelles prisons.

Il y a deux semaines, Ottawa a porté les investissements pour l'agrandissement de pénitenciers à 275 millions de dollars depuis l'été dernier, pour un total de 1159 nouvelles places. Il a l'intention d'en ajouter deux fois plus à l'échelle canadienne dans les prochains mois.

Service correctionnel Canada a refusé de donner des détails du plan à l'étude pour remplacer des établissements existants. On a notamment refusé d'expliquer la différence entre le remplacement d'une prison et la construction d'un nouvel établissement. On a également refusé de discuter de l'échéancier.