Le sénateur Jean Lapointe délaissera dans une semaine son rôle politique pour retrouver sa passion première, la scène. Et le moment de faire ses adieux au Sénat ne sera pas venu trop tôt pour cet homme qui, tout compte fait, s'est aperçu qu'il n'avait peut-être pas cette vocation.

Nommé au Sénat par l'ancien premier ministre libéral Jean Chrétien, en 2001, Jean Lapointe quittera la Chambre haute à la fin de la semaine, à l'approche de son 75e anniversaire qu'il célèbrera le 6 décembre.

Mais si la Constitution canadienne a choisi pour lui le moment de son départ, le sénateur reconnaît lui-même qu'il ne serait pas resté bien plus longtemps.

Disant avoir des sentiments ambivalents à l'approche de son départ, M. Lapointe avait néanmoins peu de bons mots pour la Chambre haute où il a siégé pendant neuf ans et demi, au moment de faire le point sur son mandat en entrevue avec La Presse Canadienne, la semaine dernière.

Déçu de son passage dans la capitale fédérale, cet artiste avant tout a trouvé le monde politique difficile, irrité par les tractations qui se font parfois en coulisse, avoue-t-il.

«Je n'aime pas la politique. Je n'ai pas aimé ça. Il y a bien des combines qui se font», explique-t-il de la façon de faire les choses, une réalité qu'il a rapidement observé dès le début de son mandat. Mais M. Lapointe répète qu'il n'y a jamais participé.

«Je n'ai jamais cédé d'un pouce (au moment des votes), j'y suis allé selon ma conscience puis selon mes connaissances (...) La ligne de parti, j'en n'ai rien à cirer. Qu'ils en fassent une, ligne, moi je ne la connais pas», dit-il d'un ton catégorique.

Le «sénartiste», comme il s'est lui-même baptisé, déplore la lenteur des procédures au Sénat comme à la Chambre des communes.

Et pour cause, après avoir présenté à plusieurs reprises un projet de loi contre les appareils de loterie-vidéos dans les bars et les restaurants, M. Lapointe quittera le parlement sans avoir vu sa proposition adoptée. Prorogations et élections ont chaque fois tué le projet de loi.

S'il se dit déçu, il refuse de voir la chose comme un échec. «Parce que je ne suis pas responsable», note-t-il.

Malgré cela, le sénateur défend le rôle du Sénat. Celui qu'on avait envisagé à la base, du moins. Car selon lui, la récente majorité des conservateurs à la Chambre haute est venue bouleverser l'ordre des choses.

La deuxième Chambre, censée offrir un second regard non-partisan, est paralysée, déplore-t-il.

«Je crois sincèrement qu'à venir jusqu'à ce que les conservateurs prennent le pouvoir, le Sénat était l'ange-gardien de la population, des minorités, des démunis», estime M. Lapointe. Mais depuis quelques temps, le Sénat ne débat plus, dénonce-t-il.

Alors que la pertinence de la Chambre haute est remise en question, M. Lapointe est bien d'accord qu'il faut la réformer et il y va d'une suggestion: nommer un panel de personnalités apolitiques chargées d'étudier une liste de candidats et de faire des recommandations au premier ministre. Ce qui éviterait le favoritisme, selon lui.

Le sénateur Lapointe repart du Sénat prêt à laisser la politique derrière lui et à reprendre la scène, «pour apporter un peu de bonheur aux gens».

Surtout qu'il sera soulagé de ne plus avoir à faire la route Ottawa-Québec toutes les semaines. Après une année mouvementée côté santé, M. Lapointe a hâte de se reposer un peu.

Et Jean Lapointe quitte Ottawa changé.

S'il a appris à être patient et à ne plus se prononcer trop rapidement - un trait de caractère qui l'avait mal servi à son arrivée au Sénat -, le sénateur dit aussi avoir été ébranlé à un point tel que ses convictions politiques semblent se trouver à un point tournant.

S'il se dit «libéral entre parenthèses» depuis des années - lui qui a voté pour les libéraux, péquistes et conservateurs au fil des ans -, ses convictions fédéralistes pourraient avoir été changées par ce dont il a été témoin dans la capitale fédérale. Son idée n'est pas arrêtée, mais M. Lapointe avance qu'il pourrait bien se ranger éventuellement dans le camp de la souveraineté.

«Parce que j'ai été témoin d'une chose très importante ici: les deux solitudes je les ai vues, je les ai vécues. Je ne suis pas souverainiste pour l'instant, mais il n'est pas dit que je ne le serai pas dans deux ans», laisse-t-il tomber.

Outre son combat contre les appareils de loterie-vidéo, Jean Lapointe s'est prononcé contre la longueur des hommages au Sénat, faisant réduire leur durée à 15 minutes par leader à la Chambre haute.

Et celui qui compte 50 ans de carrière artistique a également dénoncé les coupes du gouvernement de Stephen Harper en culture. Une inquiétude qui l'habite encore.

«Harper, lui, la culture c'est la culture des navets qu'il connait. Qu'il cultive ses navets et qu'il laisse la culture à des gens qui sont plus compétents que lui», scande le sénateur lorsqu'on aborde le sujet.

Dès janvier, Jean Lapointe retrouvera son premier amour, la scène, et son premier complice, Jérôme Lemay, avec qui il a formé le duo Les Jérolas pendant 15 ans, dès 1955. Les deux hommes, qui se sont retrouvés après un différend de 18 ans, seront en tournée dès la fin janvier, et ce, pour quelques années, anticipe M. Lapointe, puisqu'il y a une très forte demande.