Quelques heures avant la comparution au Parlement des deux têtes dirigeantes de l'organisme Droits et Démocratie, Gérard Latulippe et Aurel Braun, le controversé rapport de vérification que devaient étudier à huis clos les députés a fait l'objet d'une fuite, juste avant que ne soit finalement annulée la séance du comité.

Onze mois après le déclenchement d'une véritable crise au sein de l'organisme, le comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes tente toujours de faire la lumière sur les allégations d'ingérence politique, de nominations partisanes et de congédiements injustifiés.

Après de longues négociations, les députés membres du comité avaient finalement obtenu de pouvoir lire le rapport de la firme Deloitte et Touche, chargée en février de vérifier les transactions financières de l'organisme entre avril 2007 et février 2010. Le conseil d'administration alléguait que le président de l'époque, Rémy Beauregard - mort d'une crise cardiaque en janvier après une réunion particulièrement houleuse-, avait mal géré les finances de Droits et Démocratie.

Or, le document secret a fait l'objet d'une fuite et a été rendu public sur le site internet du quotidien The GlobeandMail.

Plaidant l'ajournement des travaux du Parlement pour la période des Fêtes, à 15h, le gouvernement conservateur a annulé la séance du comité, prévue pour 15h30, même s'il est tout à fait permis aux comités des Communes de siéger lorsque la Chambre ne siège pas.

Mais pour les députés de l'opposition, la fuite du document a permis de briser le silence auquel ils étaient contraints.

«Ce que l'on voit, par la fuite, c'est qu'il n'y a pas eu mauvaise administration, a dit le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. C'est plutôt quelque chose qui relève d'un débat idéologique entre le conseil d'administration et les employés.»

Changement d'orientation

En effet, le rapport ne témoigne d'aucune grande malversation financière. Il conclut que les conflits ont commencé lorsque de nouvelles personnes, nommées par le gouvernement conservateur, sont arrivées à la tête de l'organisme.

«L'orientation stratégique de Droits et Démocratie semble avoir changé au cours des années 2005 à 2010, plus particulièrement avec l'arrivée de nouveaux membres au sein du conseil d'administration», dit le document obtenu par The Globe and Mail, que le gouvernement n'a toujours pas rendu public.

Le président du conseil d'administration, Aurel Braun, a été nommé en mars 2009 par le gouvernement; quant à Gérard Latulippe, ancien candidat de l'Alliance canadienne, il a été nommé président après la mort de M. Beauregard. «Ces changements semblent avoir été la source de plusieurs conflits, ajoute le rapport de vérification. Nous avons également noté que plusieurs membres du conseil d'administration étaient en désaccord avec certaines activités, projets ou partenariats de Droits et Démocratie.»

»C'est honteux»

Cette conclusion vient appuyer la thèse de l'opposition, qui soutient depuis des mois que les conservateurs ont placé leurs pions à la tête de l'organisme indépendant afin de lui imprimer un virage à droite tout en poussant vers la porte les employés qui seraient en désaccord. Au coeur du conflit, 14 personnes ont quitté l'organisme, soit parce qu'elles ont été congédiées, soit parce qu'elles ont claqué la porte.

«Le gouvernement, pour des raisons idéologiques, a détourné le mandat de Droits et Démocratie. C'est honteux», a estimé le député libéral Pablo Rodriguez, selon qui l'ensemble du dossier a contribué à faire mal paraître le Canada sur la scène internationale.

Le député du NPD Paul Dewar estime que l'organisme a dépensé plusieurs centaines de milliers de dollars dans une vérification comptable qui n'a servi à rien. «Ils ont déclenché une chasse aux sorcières et n'ont rien trouvé», a-t-il déploré.

«Ça nous laisse avec de nombreuses questions, a ajouté M. Dewar. Aujourd'hui, le gouvernement a annulé la séance du comité des Affaires étrangères où on pensait enfin pouvoir faire la lumière sur tout le dossier. C'est vraiment très ironique d'avoir une institution nommée Droits et Démocratie où les gens qui y travaillent voient leurs droits bafoués de façon très peu démocratique.»