Au moment même où l'armée canadienne se voit montrer la porte des Émirats arabes unis à la suite d'un différend commercial doublé d'une querelle diplomatique, la France ne cesse d'accroître sa présence militaire dans cette région du Golfe, une zone stratégique qui fait face aux côtes iraniennes, à deux heures de vol de l'Afghanistan.

L'armée française s'apprêterait à y transférer sa 13e demi-brigade de la Légion étrangère et son millier de militaires, écrit le journaliste spécialisé en questions militaires Jean-Dominique Merchet, de l'hebdomadaire Marianne, sur son blogue Secret Défense. Ce régiment interarmes était établi depuis près de 50 ans à Djibouti, d'où il a mené des missions sur le continent africain, en particulier au Rwanda et en Côte d'Ivoire. Ce déménagement provoquerait toutefois des grincements de dents dans l'appareil militaire de l'Hexagone.

Il y a toutefois peu de chances pour que ce régiment occupe la place laissée vacante à la base d'Al Minhad, à Dubaï, depuis l'expulsion des troupes canadiennes, le 5 novembre dernier. Selon toute probabilité, les légionnaires devraient s'installer dans l'une des trois nouvelles bases françaises permanentes d'Abu Dhabi, créées à la demande des autorités locales et inaugurées officiellement en mai 2009. La France et les Émirats ont d'ailleurs signé un accord de coopération militaire.

La base canadienne de Dubaï était connue sous le nom de camp Mirage. Le Canada considérait son emplacement comme un secret militaire qui ne pouvait être dévoilé sous aucun prétexte. L'Australie, colocataire des lieux, n'a au contraire jamais fait mystère de l'endroit où se trouvaient ses militaires.

Le camp Mirage était un élément-clé dans l'organisation logistique de la mission de combat en Afghanistan. C'est là que transitaient les soldats, leur matériel et leur ravitaillement entre le Canada, l'Allemagne et l'aéroport de Kandahar, à environ deux heures de vol. C'est aussi à cet endroit que les corps des soldats tués en Afghanistan étaient examinés puis préparés en vue de leur envoi à la base aérienne de Trenton, en Ontario.

«Il s'agit d'une solution temporaire», explique le capitaine Alexandre Munoz, officier d'affaires publiques à l'état-major interarmées stratégique. Il assure que ce démantèlement suivi d'un déménagement de Dubaï à Chypre, dont le coût exact n'a pas été encore chiffré définitivement, n'a eu aucun effet sur les opérations en Afghanistan, notamment grâce aux nouveaux gros porteurs C-17, dont le rayon d'action est plus grand.

Dubaï a décidé d'expulser les Canadiens après qu'Ottawa eut refusé, l'automne dernier, d'augmenter la fréquence des vols des compagnies aériennes Emirates et Etihad pour protéger Air Canada.

«Une décision vraiment bizarre», croit Bob Rae, le critique libéral en matière de politique étrangère, qui revient d'une visite aux Émirats arabes unis. Les deux transporteurs des Émirats voulaient aussi desservir d'autres villes canadiennes, dont Montréal. Depuis, cette bataille commerciale s'est transformée en guérilla diplomatique.

Repli temporaire à Chypre

La fermeture précipitée du camp Mirage, qui devrait coûter au minimum 300 millions de dollars selon certains médias, paraît d'autant plus problématique qu'elle survient à quelques mois du rapatriement de la majeure partie du contingent canadien en Afghanistan. Faute d'avoir pu trouver une base de remplacement dans la région du Golfe, l'armée canadienne s'est repliée à Chypre. C'est déjà sur cette île que ses soldats sont envoyés en «décompression» pendant une semaine à la fin de leur mission afghane.

Dans une allocution prononcée en mai 2010 à Calgary, le président d'Air Canada, Calin Rovinescu, avait soutenu qu'un accord de ce type avec les Émirats arabes unis n'apporterait aucun avantage au Canada: «Comme peu de gens voyagent entre les deux pays, il ne ferait qu'ébranler le secteur canadien de l'aviation.»



«Ces événements récents reflètent un manque de maturité de la part du gouvernement canadien, a dit Bob Rae à La Presse. Ces décisions vont coûter très cher aux Canadiens.» Il note de plus que les «gouvernements américains et européens n'ont pas connu les mêmes difficultés». Récemment, la firme Emirates a annoncé qu'elle avait signé des accords avec les États-Unis permettant de doubler le nombre de vols quotidiens vers Houston et Los Angeles. Selon le site internet d'Emirates, une soixantaine de pays auraient signé des accords avec ce transporteur.