Le président de la Chambre des communes a fait de vifs reproches au gouvernement Harper, mercredi, en ce qui concerne sa ministre Bev Oda, d'une part, et les coûts qu'entraîneront une vingtaine de projets de loi, d'autre part.

Dans deux décisions rendues coup sur coup, Peter Milliken a déclaré que les actions du gouvernement avaient à première vue porté atteinte aux privilèges des parlementaires et empêché les députés de représenter adéquatement les Canadiens. C'est la troisième fois en moins d'un an que le président doit ainsi rappeler le gouvernement à l'ordre et le forcer à respecter les pouvoirs de la Chambre. En avril dernier, il avait forcé les troupes de Stephen Harper à permettre aux députés de consulter les documents sur les détenus afghans.

Le Parti libéral pourrait se servir de ces décisions, particulièrement de celle sur les coûts cachés des dispositions en matière de justice criminelle, pour tenter de faire tomber le gouvernement et provoquer des élections la veille de la présentation du budget, qui doit avoir lieu le mardi 22 mars. Les libéraux disposent en effet d'une journée d'opposition le lundi 21 mars, au cours de laquelle ils pourraient présenter une motion de défiance.

«Nous allons garder toutes nos options ouvertes», a déclaré le chef libéral Michael Ignatieff.

Pour l'instant, les partis de l'opposition se sont entendus pour envoyer les deux dossiers au comité de la procédure de la Chambre des communes. Les députés qui y siègent doivent faire rapport le 21 mars dans le cas des coûts des initiatives gouvernementales et le 25 mars dans le cas des déclarations de Bev Oda sur l'organisme Kairos.

Oda persiste

La ministre responsable de l'Agence canadienne de développement international (ACDI), Bev Oda, a annoncé mercredi qu'elle entendait rester en poste et qu'elle irait donner sa version des faits au comité.

Le président était appelé à se prononcer sur la question de privilège soulevée par le député libéral John McKay, qui a accusé la ministre d'avoir falsifié un document pour refuser une subvention à l'organisme Kairos, puis menti au Parlement lorsqu'on lui a demandé des explications.

«La présidence estime qu'il existe un doute suffisant pour conclure qu'il y a, de prime abord, matière à question de privilège», a conclu Peter Milliken.

Dans son rapport, le comité pourrait par exemple signifier une motion de blâme, déclarer qu'il y a eu outrage au Parlement ou réclamer officiellement la démission de la ministre. La Chambre serait alors appelée à voter. On ignore pour l'instant quelle serait alors la réponse de la ministre.

Coûts

Dans l'autre dossier, la motion du député libéral Scott Brison visait à obtenir le détail des coûts de la vingtaine de projets de loi du gouvernement en matière de justice criminelle, des baisses d'impôts consenties aux entreprises et de l'achat d'avions militaires F-35.

Le gouvernement refuse au motif qu'il s'agit de secrets appartenant au Conseil des ministres. Devant l'insistance des partis de l'opposition, qui disent avoir besoin de ces chiffres pour voter sur les mesures en question, le gouvernement a présenté il y a deux semaines un tableau sommaire de quatre pages. Mais le président de la Chambre a jugé ces efforts bien insuffisants.

«Il ne fait aucun doute qu'un ordre portant production de documents n'a pas été pleinement exécuté et il s'agit d'une affaire très grave qui touche l'essence même du rôle incontestable de la Chambre d'exiger des comptes du gouvernement», a tranché Peter Milliken.

Réactions

Mercredi, le gouvernement est resté sur ses positions. «De toute évidence, le président ne s'est rangé d'aucun côté dans cette décision, a déclaré le leader en Chambre, John Baird, en parlant de la motion concernant Bev Oda. La ministre est certainement heureuse d'aller au comité et de répondre et d'expliquer ou clarifier ses actions à cet égard.»

La suite des choses promet donc d'être décisive pour le gouvernement Harper, et l'attitude des autres partis de l'opposition pèsera lourd dans la balance. Les esprits auront le temps de refroidir avec une pause parlementaire la semaine prochaine, qui pourrait n'être troublée que par le travail du comité de procédure. Mais mercredi, tous les partis s'entendaient pour dénoncer sévèrement le gouvernement Harper.

«Ces gens-là ne sont pas des démocrates, a condamné le chef bloquiste, Gilles Duceppe. Tout est possible au moment où on se parle.»

«Chaque fois qu'ils ont parlé de renverser le gouvernement, les libéraux se sont dégonflés, a quant à lui affirmé le chef adjoint du NPD, Thomas Mulcair. On va voir si, le 21, ils font autre chose.»

Mais, a-t-il ajouté, «il y a normalement un budget le 22 et c'est ça qui nous permettrait d'aller chercher des résultats concrets pour les Canadiennes et les Canadiens».

- Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance