Les Albertains connaissent Danielle Smith comme étant la jeune, télégénique et habile chef d'un nouveau parti, le Wildrose Alliance, qui menace l'hégémonie du Parti conservateur provincial. Les Québécois devraient retenir son nom: Danielle Smith se fait la porte-parole de plusieurs Albertains qui estiment payer pour les généreux programmes sociaux du Québec...

«Les Albertains sont des gens généreux. Mais leur patience a des limites. Ils voient bien qu'une partie de leurs impôts finance des garderies à 7$ par jour et des droits de scolarité peu élevés, dans d'autres provinces», explique Mme Smith, 39 ans, ex-journaliste, en entrevue à La Presse.

Avant d'aller plus loin, il faut expliquer un détail capital pour comprendre ce dont parle la leader du Wildrose. Ce détail étant la péréquation: Ottawa a créé ce programme en 1957, pour redistribuer dans les provinces pauvres une partie des richesses des provinces riches.

But: s'assurer que tous les Canadiens aient accès à un niveau de services sociaux à peu près semblable. Le calcul est compliqué, basé sur une moyenne de revenu par personne. Depuis la création du programme de péréquation, l'Alberta a toujours été un contributeur net. Plombé par l'érosion de son secteur manufacturier, l'Ontario a récemment commencé à recevoir des fonds de la péréquation. Terre-Neuve, traditionnellement «pauvre», est devenue «riche» grâce à ses ressources naturelles. Le Québec a toujours été un débiteur net. En 2009-2010, nous avons reçu 8 milliards de ce programme, soit 10% du budget de l'État.

«Depuis 18 mois, je fais des assemblées publiques partout en Alberta, les gens viennent me parler. Et la question m'est toujours posée: qu'allez-vous faire à propos de la péréquation? Les Albertains sentent le poids d'avoir à soutenir les provinces qui reçoivent de la péréquation», dit Mme Smith, dont le parti compte quatre députés à l'Assemblée législative.

Commentaires indignes

Il ne faut pas être devin pour comprendre que Danielle Smith parle du Québec, quand elle évoque des provinces qui ont des garderies à 7$ et des droits de scolarité peu élevés. Elle jure n'avoir rien contre le Québec, au contraire: «Les Albertains et les Québécois ont ceci en commun: ils se fient à leur propre gouvernement, pas à celui d'Ottawa.»

Le programme de péréquation fédéral «donne» chaque année plus de 1000$ à chaque Québécois. Il en «enlève» à chaque Albertain, pour redistribution ailleurs au pays, 3000$. En bons Canadiens, les Albertains sont heureux de contribuer. Mais là où le bât blesse, c'est quand d'autres provinces, comme le Québec et l'Ontario, critiquent l'exploitation des sables bitumineux albertains, dit Danielle Smith.

«Il est extraordinairement irresponsable de critiquer l'exploitation des sables bitumineux. Nous bénéficions tous des exportations de richesses naturelles et des emplois qui en découlent, d'un océan à l'autre.»

Le ressac environnemental provoqué par l'exploitation des sables bitumineux a fait de l'Alberta le punching bag du pays, dénonce Danielle Smith, faisant écho à un sentiment universellement répandu dans une province où 140 000 emplois dépendent du secteur des ressources naturelles. «Les critiques envers l'Alberta sont plus vives du fait que les chefs du Parti libéral et du NPD savent qu'ils n'ont pas de votes à gagner. Ils font des commentaires que je trouve indignes de leaders nationaux.»

Sentiment universellement répandu, mais injuste, nuance Patrick Fafard, spécialiste des relations intergouvernementales, à l'Université d'Ottawa: «Recevoir de la péréquation n'interdit pas de soulever des questions d'ordre environnemental», dit-il.

En pleine ascension

En critiquant l'est du pays, Danielle Smith est en parfait synchronisme avec l'essentiel de la classe politique albertaine: «Les Albertains sont des gens logiques. Ils savent que le monde amorce une transition qui va éloigner la dépendance envers les énergies fossiles. Mais les Américains, eux, savent que l'Alberta est une source stable, amicale de pétrole. Nos amis dans l'est du pays ne le comprennent pas.»

Le Wildrose (du nom de l'emblème floral de la province, Rosa acicularis) surfe allègrement sur la question des «property rights», des droits défendus bec et ongles par les propriétaires terriens qui craignent d'être lésés par l'exploitation gazière, notamment. Danielle Smith se décrit comme une libertarienne et se tient loin des enjeux moraux. Elle est pro-choix, en matière d'avortement. Ce qui l'intéresse: les finances publiques, la liberté individuelle.

Todd Babiak, chroniqueur au Edmonton Journal, décrit Danielle Smith comme une femme «complexe et très réfléchie». Le Wildrose Alliance, dit-il, est à la droite du Parti progressiste conservateur albertain, préconisant «moins» d'État, dans une province où l'État est déjà «moins présent» qu'ailleurs au pays.

«Beaucoup de gens pensent que si Gary Mar, ancien ministre conservateur et représentant de l'Alberta à Washington, succède à Ed Stelmach à la tête du parti, il va stopper l'élan du Wildrose.»

Le premier ministre actuel, Ed Stelmach, ne se représente pas: la course à sa succession est en cours. Mme Smith, qui est à Montréal aujourd'hui pour parler aux militants du Réseau Liberté-Québec, un regroupement de citoyens de centre droit, est pleine ascension, en Alberta. Son parti a battu des records de financement, pour un parti de l'opposition.

Todd Babiak voit le Wildrose comme un mouvement de protestation, très rural, comme le Reform Party a pu l'être dans les années 80. Il est hasardeux, selon lui, de prédire un gouvernement dirigé par Danielle Smith: «En Alberta, les gens aiment la stabilité, le statu quo.»

Céder de la place aux provinces

Le credo «moins d'État» de Danielle Smith touche la péréquation, qu'elle espère voir réformée. «Je crois qu'Ottawa doit puiser moins d'argent dans les poches des gens. Il doit céder des champs de taxation aux provinces.»

Le seul parti qu'elle admire, dans le domaine du respect des provinces, est le parti de Stephen Harper. Elle votera PCC, le 2 mai. «Le PCC respecte les provinces, respecte l'Alberta. C'est la seule option.»