Mai 2001. Une militante environnementaliste entame sur le trottoir en face du parlement, à Ottawa, une grève de la faim qui durera 17 jours. Elle s'appelle Elizabeth May et réussit alors à faire changer la politique gouvernementale concernant les étangs bitumineux de Sydney, en Nouvelle-Écosse.

Dix ans plus tard, la même Elizabeth May regardera ce bout de trottoir avec un immense sourire et le sentiment du devoir accompli, alors qu'elle fera son entrée, par la grande porte cette fois, à la Chambre des communes.

Mme May, devenue le 2 mai la première représentante du Parti vert élue dans l'histoire du Canada, entamera demain sa toute première session parlementaire.

«Maintenant je ne suis plus seulement une militante dehors, a dit Mme May dans une entrevue accordée à La Presse, hier. J'espère que c'est possible de faire des progrès sans grève de la faim», a-t-elle ajouté en riant, mais sans cacher un brin d'inquiétude.

La majorité conservatrice et les positions du premier ministre Stephen Harper l'effraient. Et pas seulement sur la question de l'environnement.

«La lutte contre le déficit, c'est un but important. Mais ce n'est pas possible de réduire à la fois le déficit et les impôts des entreprises sans sabrer les programmes gouvernementaux, explique la nouvelle députée. J'ai beaucoup d'inquiétude quant au budget. Dans quoi mettront-ils la hache: le budget d'Environnement Canada, de l'ACDI, de programmes importants pour les Canadiens?»

Bien que le Parti vert soit avant tout écologiste, Mme May entend défendre les enjeux chers à sa formation politique, mais aussi à ses commettants de la circonscription de Saanich-Gulf Islands, en Colombie-Britannique, notamment la protection du système de santé public, les rentes pour les aînés et les anciens combattants.

«M. Harper doit comprendre qu'il n'a pas l'appui de la majorité des Canadiens, soutient-elle. Il a une majorité de sièges, mais c'est une fausse majorité. La réalité est que moins de 40% des électeurs ont voté pour lui, et seulement 61% des Canadiens ont voté. Nous avons un gouvernement majoritaire sans mandat. Mais j'ai peur que M. Harper agisse comme s'il avait un mandat pour imposer son programme.»

Environnement

Quant à son principal cheval de bataille, la sauvegarde de l'environnement, l'ex-directrice du Sierra Club du Canada, qui a aussi été conseillère auprès du ministre de l'Environnement Tom McMillan dans le gouvernement de Brian Mulroney, entend adopter une approche éducative vis-à-vis de ses collègues députés.

«Je pense que c'est possible de faire une différence en trouvant des terrains communs, estime Mme May. C'est certain qu'en ce moment, M. Harper ne comprend pas la science des changements climatiques. Il pense que ce n'est pas un enjeu important.»

«Mais j'aurai l'occasion de parler avec ses députés ainsi qu'avec ceux du Parti libéral, du NPD et du Bloc, ajoute-t-elle. Je pourrai partager avec eux la science, parler d'une façon ouverte, pas d'une façon partisane.»

Cette approche de collaboration et de coopération que privilégie Mme May, c'est aussi celle des verts ailleurs dans le monde, qui ont parfois été appelés à participer à des gouvernements de coalition, explique-t-elle. Si la chef environnementaliste espère que son élection à la Chambre des communes permettra à son parti de croître, elle estime toutefois que le salut de sa formation passera davantage par une réforme du système électoral canadien le scrutin proportionnel.

Femme chef de parti

Elizabeth May sera à partir de demain la première femme chef d'un parti politique à siéger aux Communes depuis Alexa McDonough, qui a quitté la tête du NPD en 2003, et Audrey McLaughlin, son prédécesseur, de 1989 à 1994. Kim Campbell, du Parti progressiste-conservateur, a aussi été première ministre jusqu'en novembre 1993. Mme May n'aura pas, au Parlement, le statut officiel de chef de parti (elle sera considérée comme députée indépendante), mais elle estime que sa présence pourra encourager davantage de femmes à se lancer en politique. «C'est très important pour nos filles, nos petites-filles, de voir des femmes qui ont un rôle influent en politique, de voir une femme, par exemple, chef d'un parti national, souligne-t-elle. C'est difficile pour les jeunes filles du Canada de penser à faire de la politique si elles n'ont pas de modèles.»