Les criminels ne seront pas les seuls à faire les frais des nouvelles lois du gouvernement Harper en matière de justice pénale: Québec prévoit qu'elle devra s'acquitter d'une facture de plusieurs dizaines de millions de dollars pour ses prisons.

Selon des documents obtenus par La Presse Canadienne, le gouvernement québécois estime qu'il lui en coûtera 143 millions $ pour se préparer aux conséquences d'une seule de ces mesures fédérales de durcissement, la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime.

Et la facture ne s'arrêterait pas là. Des coûts de fonctionnement supplémentaires pouvant atteindre 20 millions $ chaque année devront aussi être payés, évalue Québec.

La province refuse de dévoiler ses estimations de dépenses pour les autres projets de loi fédéraux en matière de loi et d'ordre qui l'affecteront, affirmant que ces renseignements «porteraient préjudice à la conduite des relations entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral».

La dispendieuse Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, adoptée en octobre 2009, change la méthode de calcul pour le temps passé derrière les barreaux avant une condamnation officielle. Alors que ce temps comptait en double depuis plusieurs années, le gouvernement de Stephen Harper a éliminé ce boni.

Cette loi «laisse présager une augmentation» du nombre de personnes en prison, estime le ministère de la Sécurité publique, dans un document datant d'avril dernier et obtenu par l'entremise de la Loi d'accès à l'information. Ce qui explique la hausse des coûts.

Québec se fait toutefois prudent, soulignant que ses évaluations sont bâties sur des «postulats exploratoires» et que les coûts supplémentaires «pourraient être moindres».

Les projets de loi fédéraux durcissant le Code criminel entraînent des coûts pour Québec parce que les détenus écopant de moins de deux ans à l'ombre tombent sous la responsabilité des provinces.

Depuis l'arrivée du gouvernement Harper au pouvoir, les provinces redoutent les coûts engendrés par sa volonté de durcir le Code criminel.

Dès 2010, l'Ontario a élevé le ton, demandant à Ottawa de s'acquitter de la facture qu'il avait créée.

Beaucoup plus timide, le ministère de la Sécurité publique du Québec a refusé de commenter le dossier, se limitant à répéter que son évaluation des coûts était «exploratoire». Pierre Moreau, le ministre responsable des relations Ottawa-Québec, n'a pas accepté de discuter directement de la question avec La Presse Canadienne.

Sa porte-parole, Andrée-Lyne Hallé, a indiqué qu'aucune demande officielle de compensation n'avait été adressée à Ottawa, mais que des discussions avaient eu lieu entre le fédéral et les provinces à deux reprises, en 2008 et en 2010.

Toutefois, le ministre de la Sécurité publique fédéral, Vic Toews, a clairement averti les provinces après l'adoption de la loi: les provinces devront elles-mêmes prendre en charge les coûts engendrés par la hausse du nombre de détenus dans leurs prisons.

«Elles sont nos partenaires, non seulement en terme de lutte contre le crime, mais aussi pour les coûts», avait-il déclaré, en octobre 2010.

«C'est aussi leur responsabilité. Et je crois qu'elles sont -que plusieurs d'entre elles sont- préparées à assumer cette responsabilité.»

M. Toews n'a pas voulu accorder d'entrevue sur le sujet à La Presse Canadienne. Son bureau s'est limité à émettre une courte déclaration soulignant que certaines provinces étaient en faveur de l'adoption de la loi.

Kevin Page, le directeur parlementaire du budget fédéral, a évalué l'été dernier que la seule Loi sur l'adéquation de la peine et du crime coûterait annuellement 3 milliards $ supplémentaires en 2015-2016 pour l'ensemble des provinces.

Et la facture pourrait être encore davantage salée: le gouvernement Harper a annoncé dans le dernier discours du Trône qu'il entendait profiter de sa majorité parlementaire pour faire enfin adopter ses projets de loi en matière de justice criminelle.

«Notre gouvernement ne tardera pas à présenter à nouveau des mesures législatives sur la loi et l'ordre regroupées pour lutter contre le crime et le terrorisme», annonçait le dernier discours du Trône du gouvernement conservateur, prononcé en juin.

«Ces mesures protégeront nos enfants des délinquants sexuels. Elles supprimeront l'admissibilité à la détention à domicile et au pardon pour les crimes graves.»