L'Arctique est un gâteau que l'on dit gorgé de ressources énergétiques et de minerais précieux. Jusqu'à 20% des réserves mondiales de gaz et de pétrole non encore mises au jour seraient enfouies dans le sol de ce vaste territoire. Mais c'est surtout une cause parfaitepour les politiciens.

Selon le professeur Stéphane Roussel, de l'Observatoire de la politique et de la sécurité dans l'Arctique à l'UQAM, ces projections sont «statistiques et non prouvées». De plus, 99% des ressources soupçonnées se trouveraient dans des zones qui ne font pas l'objet de contestations territoriales. Enfin, leur exploitation risque d'être plutôt complexe dans cet environnement hostile.

Pourtant, Russes et Canadiens se disputent leurs frontières sous-marines, et tous les pays riverains se lancent dans des missions de cartographie et des revendications territoriales.

Une convention de l'ONU fixe la limite territoriale, sur mer, à 12 milles marins au large des côtes, et la limite sous-marine à 200 milles au large ou au-delà, jusqu'à un maximum de 350 milles si le plateau continental s'étire plus loin que les côtes. C'est en vertu de ce principe et de ces calculs compliqués que les Russes comptent revendiquer dès 2012 auprès de l'ONU la dorsale de Lomonossov, une vaste zone montagneuse sous-marine longue de 1800 km, que le Canada et le Danemark considèrent aussi comme leur territoire.

La Russie multiplie aussi les paroles en apparence belliqueuses. «Le Nord est stable et en paix, mais on ne peut exclure dans le futur une redistribution du pouvoir, y compris par une intervention militaire», a déjà déclaré le chef de la marine russe, Vladimir Vysotsky.

Fin juin, Vladimir Poutine a promis d'y «défendre vigoureusement» ses intérêts. À la parole, Moscou joint aussi le geste: des bombardiers furtifs TU-95 frôlent l'espace aérien canadien; deux sous-marins MIR ont planté un drapeau au fond de la mer à la verticale du pôle Nord, sur la dorsale convoitée; on parachute des militaires; on déploie une brigade d'infanterie motorisée... Le Canada, qui considère ces gestes comme de la provocation ou de la propagande, enverra 1 millier d'hommes et des avions CF18 dans la région en août pour l'exercice Nanook.

Désapprobation américaine «Ce sont des conflits montés en épingle, relativise Stéphane Roussel. L'Arctique fait partie de la nation, tant pour les Russes que pour les Canadiens. C'est moins vrai pour les autres pays. L'Arctique est une cause parfaite en qui tout le monde se reconnaît et qui permet de jouer la carte du nationalisme. Au Canada, on y trouve tous les aspects positifs pour un gouvernement. Les causes environnementale et autochtone séduisent les gens de gauche, tandis que l'aspect défense du territoire séduit la droite. L'appui de la population est solide.»

Toujours selon lui, ce n'est pas demain la veille que le passage du Nord-Ouest, même débarrassé de ses glaces à cause du réchauffement, deviendra une autoroute pour cargos et pétroliers, en raison de sa dangerosité. M. Landry abonde dans le même sens : «Depuis les années 60, on s'est toujours servi de l'Arctique comme d'un stimulus pour rallier l'ensemble des Canadiens, de l'Alberta au Québec.»

Dans des câbles que WikiLeaks a remis à La Presse, les diplomates américains expriment leur «désapprobation vis-à-vis de la position canadienne sur le statut du passage du Nord- Ouest» et se questionnent sur certaines décisions ou intentions du gouvernement Harper. Ils écrivent aussi que la souveraineté sur l'Arctique a été «testée comme promesse électorale «. Mais sachant que les «promesses faites sont rarement mises en oeuvre, quel sera le sort du futur brise-glace (John G. Diefenbaker) de 750 millions de dollars?», demandent-ils. Le Danemark, qui est aussi en litige avec le Canada pour l'île Hans, mouchoir de poche de 1,3 km2, devrait très bientôt dévoiler ses revendications, qui visent notamment le pôle Nord.