«La prison nous servirait d'école du crime, nous serions avec des criminels endurcis qui nous apprendraient à être de vrais criminels.» C'est dans ces mots que Julien1, jeune contrevenant de 16 ans, explique sa compréhension du projet de loi C-10 des conservateurs, qui vise à serrer la vis aux adolescents qui ont commis des crimes graves

Trois jeunes contrevenants qui purgent une peine au centre jeunesse de Montréal ont expliqué, lundi, à une salle bondée de journalistes comment l'adoption de cette loi risque de nuire à leur réinsertion sociale et, surtout, à l'occasion de profiter d'une deuxième chance dans la vie.

Engorgement du système

Selon les intervenants qui les accompagnaient, en plus d'être inefficace pour réduire la criminalité chez les adolescents, l'adoption de la loi C-10 risque de faire déborder les centres jeunesse, qui fonctionnent déjà à plein régime.

Le projet de loi C-10, baptisé Loi sur la sécurité des rues et des communautés, a été déposé le 20 septembre dernier. Il s'agit d'un projet de loi omnibus sur la criminalité qui reprend une série de réformes législatives bloquées par l'opposition lorsque le gouvernement conservateur était minoritaire. Il permettra notamment aux procureurs de la Couronne de demander des peines d'adultes pour les jeunes contrevenants déclarés coupables de crimes graves (meurtre, tentative de meurtre, homicide involontaire et agression sexuelle grave). Les provinces et territoires auront cependant la discrétion de fixer l'âge d'application de cette mesure. Le projet vise aussi à lever l'interdit de publication dans les médias qui vise à protéger l'identité des criminels de moins de 18 ans. Dans son ensemble, il fait passer le principe fondamental de la loi de la réinsertion sociale à la «protection de la société».

«C'est très clair que si cette loi-là est adoptée, il y a des jeunes qui vont en faire les frais», a expliqué la directrice des services spécialisés et des services des jeunes contrevenants au centre jeunesse de Montréal, Michèle Goyette. «Les jeunes que vous avez devant vous ce matin (lundi), il y en a qui auraient eu de lourdes peines, mais avec l'espoir anéanti de pouvoir s'en sortir. On travaille avec ces jeunes-là et on voit le potentiel qu'ils ont. C'est des gars intelligents qui peuvent s'en sortir. C'est pour cela que l'on prend la parole.»

Les centres jeunesse s'attendent à une hausse de leur clientèle avec l'adoption du projet de loi. Michèle Goyette explique cependant que le système n'est pas prêt à absorber cette augmentation.

«Il faudrait créer de nouvelles ressources, car c'est clair, on est à la limite de nos capacités à l'heure actuelle. Je crois que la société doit comprendre que l'adoption du projet de loi va engendrer beaucoup de coûts», ajoute-t-elle.

Même s'ils écopent d'une peine pour adultes, les jeunes contrevenants risquent de la purger en centre jeunesse jusqu'à l'âge de 18 ans.

«Quand on sait qu'on s'en va en prison pour un grand nombre d'années, a-t-on le goût d'investir dans une démarche pour changer si on ne peut pas avoir sa liberté avant longtemps?», s'interroge Mme Goyette en ajoutant que le système devra être réorganisé pour séparer les jeunes de ceux qui poursuivront leur incarcération dans des centres pour adultes.

En entrevue avec La Presse, Julien, qui a écopé d'une peine de six ans pour avoir commis un crime grave dont il ne veut pas révéler la nature, affirme qu'il comprend mal l'intention du gouvernement. Si la loi avait été différente, aurait-il quand même commis son crime? «Oui, parce que c'était un geste impulsif. Quand c'est arrivé, je n'ai pas pensé: est-ce que c'est déjà arrivé à quelqu'un avant et qu'est-ce que ç'a eu comme conséquence?»

À contre-courant

Clément Laporte, coordonnateur au Centre d'expertise sur la délinquance des jeunes et les troubles de comportement, affirme que la décision du gouvernement n'est pas appuyée par la littérature scientifique. «Il est inutile pour une société comme la nôtre de penser vouloir la protéger au sens criminel du terme en utilisant la dissuasion. Vous avez parlé aux jeunes. Soit ils agissent sous le coup de l'impulsivité, soit ils sont totalement criminalisés et ils pensent qu'ils ne se feront jamais prendre», a-t-il expliqué. Le gouvernement agit sur la base d'«éléments de politique et de popularité. Car sur une base scientifique, tout démontre le contraire.»

1. Nom fictif.