Sans surprise, le gouvernement Harper a déposé mardi un projet de loi pour abolir le registre des fusils de chasse, mais il a décidé d'aller encore plus loin: la mesure prévoit la destruction de toutes les données sur les armes recueillies jusqu'à maintenant.

L'opposition a immédiatement dénoncé cette initiative qui coupe l'herbe sous le pied des provinces souhaitant créer leur propre registre des armes de chasse à partir de l'information déjà disponible. Sans ces données, ces provinces devront repartir de zéro.

La destruction prévue des renseignements sur la possession des armes donne cependant des munitions aux partis d'opposition qui ont ainsi une nouvelle façon d'attaquer le projet de loi C-19 du gouvernement.

Une destruction «immorale», a qualifié la députée bloquiste Maria Mourani. Qui pourrait même être «illégale», a suggéré le libéral Marc Garneau.

Il s'agirait même d'une claque au visage du Québec, selon la députée néo-démocrate Françoise Boivin. «C'est simplement dire au Québec: "On s'en fout du registre. Nous (les conservateurs), on l'aime pas et si on s'en sert pas, il y a personne qui va s'en servir"», a martelé Mme Boivin pour ridiculiser la position du gouvernement.

Le Québec est la province qui a le plus manifesté son opposition aux nombreuses tentatives du gouvernement Harper de se débarrasser du registre. La tuerie de l'École polytechnique de Montréal, en 1989, n'est pas étrangère au soutien des citoyens du Québec à ce registre créé après le meurtre des 14 étudiantes de l'institution d'enseignement.

«Ça va nous coûter des vies. Ça va détruire des familles», a déploré mardi Heidi Rathjen, survivante de Polytechnique et porte-parole du Groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes. Mme Rathjen fait valoir depuis des années l'utilité du registre pour les interventions des policiers.

Québec aussi a réagi, par la voix de Robert Dutil, ministre de la Sécurité publique. Il a affirmé qu'il veut le maintien du registre, mais n'a pas confirmé si Québec ira de l'avant avec une version québécoise de l'enregistrement des armes de chasse après l'abolition du système fédéral.

Le gouvernement Harper est cependant cohérent avec ses propres principes. Puisqu'il voulait notamment se débarrasser de ce registre qui, selon lui, porte atteinte à la vie privée des citoyens, il est logique que les données soient détruites pour remédier à cette intrusion.

«Les gouvernements provinciaux sont libres d'agir dans leurs champs de compétence, mais nous ne les aiderons pas à mettre en place un autre registre par la porte d'en arrière. Les données en notre possession seront détruites et le registre sera aboli une fois pour toutes», a précisé le leader du gouvernement à la Chambre, Peter Van Loan.

Mais alors que le gouvernement soutient que le registre a été un gaspillage d'argent des contribuables, l'opposition dit que c'est aussi un gaspillage de jeter à la poubelle toutes les données existantes sur les armes de chasse.

«Ça fait 16 ans que ces données-là sont recueillies. De ne pas les rendre disponibles pour les provinces ou pour nos policiers, c'est complètement inacceptable. Bien sûr, c'est des données qui sont importantes pour le crime, et le fait que le gouvernement veut aucunement aider est totalement inacceptable», a dénoncé Marc Garneau.

La plus récente tentative des conservateurs d'abolir le registre a pris la forme d'un projet de loi d'initiative privée qui avait été défait de justesse en septembre 2010. Mais les conservateurs avaient promis de revenir à la charge dès la première occasion et en avaient même fait une promesse électorale.

Maintenant qu'ils détiennent la majorité aux Communes, le projet de loi C-19 devrait être adopté sans problèmes.

Devant leur impuissance numérique à faire dérailler le projet aux Communes, l'opposition a affirmé haut et fort, mardi, qu'il est grand temps que la population se lève pour dénoncer le démantèlement du registre.

Le registre suscite les passions un peu partout au pays et l'annonce de mardi a entraîné une foule de réactions et de prises de position.

La coalition pour le contrôle des armes - composée notamment d'associations de policiers et d'experts en santé publique - s'est dite outrée de la position du gouvernement.

L'ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, Sue O'Sullivan, croit que le gouvernement doit changer d'idée.

«Malgré l'absence d'un consensus, la majorité des groupes de défense des victimes que nous avons consultés sont d'avis que le registre des armes d'épaule devrait être maintenu», a-t-elle expliqué, rappelant que selon les données de 2002 de la GRC, les armes d'épaule constituent le type d'armes à feu le plus souvent utilisées dans les homicides conjugaux. Au cours des dix dernières années, 71 % des homicides conjugaux ont été commis au moyen d'un fusil de chasse ou d'une carabine, a-t-elle souligné dans un communiqué.

Mais l'annonce du démantèlement du registre a aussi fait des heureux. La Fédération canadienne des contribuables et la Fédération québécoise des chasseurs et des pêcheurs se sont réjouies de la nouvelle.

«La Fédération québécoise des chasseurs et des pêcheurs croit que les sommes d'argent dédiées à l'enregistrement des armes à feu devraient plutôt servir à des actions ayant réellement une portée sur le contrôle de la criminalité. Elles devraient donc être dirigées, entre autres, vers la création de programmes d'éducation axés sur le renforcement des pratiques sécuritaires du maniement des armes à feu», a-t-elle fait valoir par voie de communiqué.