Le gouvernement Harper préfère les hommes conservateurs pour le conseiller sur la nomination des juges fédéraux.

Une enquête de La Presse révèle que les femmes sont largement sous-représentées dans les comités chargés de conseiller Ottawa sur les nominations judiciaires. Et les avocats qui ont fait un don au parti de Stephen Harper y occupent une place de choix - à tout le moins au Québec.

Seulement deux femmes font partie des deux comités québécois, sur un total de seize membres. Aucune n'a été nommée par le gouvernement fédéral. Et des six avocats qu'il a désignés pour le représenter sur les comités de la province, cinq ont contribué à la caisse du Parti conservateur au cours des dernières années. Le sixième est un ancien candidat du Parti progressiste-conservateur sous Joe Clark.

À l'échelle canadienne, le portrait n'est guère plus équilibré; des 52 personnes nommées par le ministre fédéral de la Justice, seulement 6 sont des femmes. Ainsi, au total, et si on inclut les représentants des autres gouvernements et intervenants, les femmes n'occupent que 27 des 133 postes - une proportion de 20%. Dans certaines provinces, comme en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan, les comités ne comptent aucune femme.

Moins de femmes juges

Ces comités consultatifs, au nombre de dix-sept au pays, sont formés de huit personnes. Trois sont nommées par le gouvernement fédéral, tandis que le gouvernement provincial, le Barreau de la province, l'Association du Barreau canadien, la magistrature de la province et les forces policières en nomment chacun une.

Leur mandat est d'analyser les candidatures aux postes de juge dans les cours de ressort fédéral, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt. Ils font ensuite rapport au ministre de la Justice, Rob Nicholson, et lui recommandent ou non les candidats en lice. En principe, le ministre ne choisit que ceux qui ont été recommandés.

Le déséquilibre observé dans le processus de sélection survient au moment où le gouvernement Harper a l'occasion de refaçonner le visage de l'appareil judiciaire; depuis son arrivée au pouvoir, en 2006, il a nommé quelque 400 juges. Au terme du présent mandat, il pourrait en avoir nommé 200 de plus, renouvelant en une décennie près de la moitié des quelque 1100 postes de magistrats placés sous juridiction fédérale.

La députée néo-démocrate Françoise Boivin, elle-même avocate et porte-parole de son parti en matière de condition féminine, s'inquiète pour la diversité des nominations faites dans un tel contexte. «Quand tu as une grosse gang de boys conservateurs, je ne suis pas sûre qu'ils vont aller chercher un juge qui aura fait sa carrière en activisme juridique, à défendre les manifestants du G8 ou du G20», a-t-elle noté.

Il y a quelques semaines, d'ailleurs, le Globe and Mail a rapporté que le nombre de femmes qui ont accédé à la magistrature sous le régime conservateur a diminué par rapport au gouvernement précédent.

Dans les tribunaux fédéraux du Québec, en 2011, Ottawa n'a nommé que 2 femmes sur un total de 11 nominations. L'une d'elles, Nicole Duval Hesler, a néanmoins accédé au prestigieux poste de juge en chef de la province.

Peu d'explications

Pascale Fournier, professeure de droit à l'Université d'Ottawa, estime que cette diversité dans les cours du pays est cruciale, tant en matière de sexe que de religion ou d'origine culturelle. «Les travaux qui existent sur cette question au Canada, du moins en ce qui a trait à la Cour suprême, tendent à démontrer que les femmes ont quand même une sensibilité différente quant à la place des femmes et des minorités, et sur la façon dont le droit devrait être réformé pour tenir compte de ces différences», a-t-elle expliqué.

À cet égard, la professeure a donné l'exemple du Québec où, pour donner suite au récent rapport du commissaire Michel Bastarache, le gouvernement Charest a décidé d'augmenter la représentativité des femmes et des membres des différents groupes culturels au sein des comités de sélection des juges de la province.

Au bureau du ministre, comme c'est souvent le cas, on a fourni très peu d'explications. On a d'abord rappelé que ses propres lignes directrices lui imposaient de tenir compte de la représentativité de la population dans la composition des comités. Comment alors expliquer ce déséquilibre, de même que la présence importante de sympathisants conservateurs dans les comités québécois? «Le ministre doit considérer la composition du comité dans son ensemble, en tenant compte des personnes recommandées par les autres organisations participantes», a déclaré sa directrice des communications, Julie Vaux.

«Le taux de participation des femmes représente d'assez près le nombre d'avocates qui font la demande et qui sont recommandées par les comités pour un poste à la magistrature fédérale.»