Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Stéphane Dion, député libéral de Saint-Laurent-Cartierville et ancien ministre fédéral de l'Environnement.

Q1 La conférence de Durban a permis de prolonger le protocole de Kyoto. C'est une bonne chose, selon vous?

Il y a deux écoles: celle qui dit qu'il aurait fallu un échec cinglant pour que le monde se réveille et l'autre qui dit: sauvons les meubles, gardons les négociations ouvertes et travaillons très fort pour que les prochaines rencontres soient plus fructueuses. Je suis plutôt de cette école. Cela dit, il ne faut pas s'illusionner, les négociations ne nous permettent pas d'atteindre les objectifs fixés par les scientifiques. On s'en va vers un réchauffement de la planète de l'ordre de 3,5 à 4 degrés centigrades qui, selon les scientifiques, met en danger la survie de 30 à 70% des espèces animales et végétales du monde. Il faudra donner un sérieux coup de barre pour redresser les choses.

Q2 Vous proposez de fixer un prix mondial pour l'émission du carbone qui serait déterminé par des scientifiques en fonction de l'objectif pour stabiliser le climat. En quoi cette solution est-elle meilleure que celle de fixer des plafonds d'émissions?

On a beaucoup de difficulté à convaincre les pays de se doter de plafonds d'émissions. Le problème, c'est que la croissance des émissions se déplace vers les pays émergents alors que la croissance des émissions dans les pays développés a beaucoup ralenti, stoppé ou s'est même inversée dans certains cas. Si le Canada était un pays avec une croissance de 10% par année, nous serions tout aussi réticents à avoir un plafond absolu d'émissions. Il faut donc emmener les pays émergents à avoir un modèle mondial de réduction des émissions qui soit acceptable de leur point de vue. Si on négociait sur la base d'un prix, et que ce prix était le même que celui du pays concurrent, il serait moins difficile de convaincre tout le monde d'accepter ce prix. De plus, dans le modèle que je suggère, le prix mondial du carbone est compensé par un fonds pour le climat qui permet aux pays riches d'aider les pays pauvres à s'adapter.

Q3 Et que ferait-on avec l'argent recueilli?

Chaque pays garderait son revenu et en ferait ce qu'il veut: combattre la pauvreté, promouvoir l'énergie verte. Les pays riches seraient toutefois tenus d'en transférer un pourcentage, à négocier, dans un fonds pour le climat qui aiderait les pays pauvres à faire face aux coûts de réduction de leurs propres émissions et à s'adapter aux changements climatiques.

Q4 L'actuel ministre de l'Environnement, Peter Kent, dit que son gouvernement soutient un nouvel accord international sur le changement climatique qui inclurait tous les grands émetteurs de gaz à effet de serre. Trouvez-vous que c'est une idée valable?

Il n'a aucune crédibilité pour pousser cette idée. Le gouvernement du Canada en fait si peu qu'il a perdu la capacité d'influencer les autres. Comment pourrait-il demander aux Chinois ou aux Indiens d'en faire plus quand lui-même en fait si peu? Je félicite le gouvernement du Québec de son initiative pour une Bourse du carbone, mais sans le leadership d'un gouvernement national, aucun pays ne peut vraiment livrer la marchandise. Or, actuellement, qu'est-ce qu'on a comme plan pour lutter contre les gaz à effet de serre? On a des réglementations si faibles qu'elles sont à peine plus exigeantes que le statu quo. Au fédéral, on a des subventions aux énergies vertes parmi les moins généreuses des pays développés. On a des subventions pour essayer de capter les gaz à effet de serre des sables bitumineux alors que c'est l'industrie qui devrait financer ça. Et on a bien sûr un programme d'aide à l'éthanol qui donne très peu sur le plan environnemental et qui est plutôt un programme d'aide aux agriculteurs.

Q5 Qu'est-ce qui est le plus dommageable, selon vous: le retrait du Canada de Kyoto ou l'attitude générale du gouvernement Harper en matière d'environnement?

Les deux sont indissociables. La guerre des conservateurs contre Kyoto a commencé dès leur élection. Toute sa vie adulte, M. Harper a déclaré que les changements climatiques n'étaient pas induits par l'activité humaine. Il qualifiait l'accord de Kyoto de complot socialiste et dans un discours de fin d'année, en 2006, il a même parlé des «soi-disant» gaz à effets de serre. Depuis ce temps, les conservateurs ont assoupli leur discours pour paraître moins radicaux, mais leur conviction est la suivante: moins on en fait, mieux c'est. Dans cette optique, le Canada n'a pas envie de se faire pousser dans le dos sur la scène internationale. D'où le sabotage systématique, à chaque rencontre, pour abattre le protocole de Kyoto.

Q6 Vous êtes très critique du gouvernement Harper. Pouvez-vous nous rappeler ce que vous avez accompli lorsque vous étiez au pouvoir?

Dans les années qui ont précédé mon arrivée comme ministre de l'Environnement, nous avons lancé différents plans qui ont permis de ralentir la croissance des émissions, de sorte qu'elles progressaient plus lentement que l'économie. C'était la première étape, mais ce n'était pas suffisant parce que le protocole nous demandait de réduire nos émissions, pas seulement de ralentir leur croissance. En avril 2005, nous avons annoncé un projet vert pour honorer nos objectifs de Kyoto. Ce plan, s'il avait été appliqué, aurait permis de mettre sur pied une Bourse du carbone dès 2006 et je crois qu'aujourd'hui, le Canada serait proche de sa cible s'il l'avait adopté. Cependant je dois admettre que notre plan 2008 était encore meilleur. J'étais devenu le chef et j'ai vraiment fait un plan comme je le concevais, un plan qui aurait été encore plus efficace. Mais les Canadiens en ont décidé autrement, je n'ai pas réussi à les en convaincre et M. Harper a mené une propagande très efficace en parlant d'une taxe sur tout. Mais bon, c'est l'histoire. Il faut regarder l'avenir.

Q7 Estimez-vous avoir travaillé pour rien?

Il ne faut jamais avoir cette impression. Bien sûr, je ne vous cacherai pas que chaque jour je regrette de ne pas avoir réussi en 2008. Mais le regret doit être motivant pour travailler fort pour l'avenir, ce ne doit pas être une raison pour se décourager.

Q8 Quelle sera, selon vous, la réaction à plus long terme de la communauté internationale face au retrait du Canada du protocole de Kyoto?

Nous avons beaucoup de chance d'habiter un pays parmi les plus admirés à travers le monde. Mais on vient de lui infliger une méchante cicatrice. Cette balafre sur notre réputation va certainement nous nuire. On doit faire valoir qu'un pays est toujours plus fort que son gouvernement et que malgré les erreurs de gouvernement actuel, c'est un pays qui a fait beaucoup pour la paix dans le monde, qui a montré du courage dans les moments difficiles du XXe siècle. Je crois que la réputation de notre pays peut survivre à cela, mais qu'il faut quand même blâmer notre gouvernement.

Q9 Sentez-vous un découragement ou une écolassitude chez les Canadiens?

Pas seulement au Canada. Je crois que le lobby intense des industries polluantes - un lobby de plusieurs milliards de dollars - a quand même ébranlé la détermination et les convictions de beaucoup de gens. Tout ce débat autour du désaccord chez les scientifiques a laissé les gens perplexes. Ils se sont dit: on va attendre que les scientifiques règlent leur désaccord avant de s'y mettre. Le problème, c'est qu'on ne voit pas les gaz à effet de serre, on ne les sent pas. C'est quelque chose d'assez abstrait. Ce qui est concret, par contre, c'est l'eau. Au Québec, la grande inquiétude face aux gaz de schiste, c'est nos nappes phréatiques, c'est l'eau. L'autre raison de ce découragement, c'est la récession économique. En Europe, les gens avaient les yeux tournés davantage vers Bruxelles que vers Durban.

Q10 Avez-vous l'impression que le gouvernement Harper a détruit votre legs politique?

Il l'a beaucoup affaibli. Ce plan de 2005, il était bon, pas parfait. J'aurais eu des idées pour l'améliorer et avec les autres partis, on aurait réussi. Mais les conservateurs l'ont brûlé, ils en ont fait du gaz à effet de serre, si je peux me permettre cette image. Ils avaient le droit de le remplacer, mais ils n'ont jamais rien fait. En 2008, M. Harper avait promis une Bourse du carbone, il n'a pas tenu sa promesse. Au fil des ans, les conservateurs ont défait l'élan qu'on avait lancé à la conférence de Montréal sur les changements climatiques alors que le Canada était un fer de lance. Le Sierra Club avait dit: «From hero to zero.» J'aurais voulu qu'on reste parmi les héros, mais rien n'est irréversible.

Q+1 Dominick Gravel @Monsieur_Kovar sur Twitter: Est-ce que vous songez à changer le nom de votre chien?

Non. Je dois dire que le chien Kyoto se porte beaucoup mieux que le protocole du même nom. C'est probablement le chien le plus célèbre au Canada, mais il ne le sait pas. Quand j'ai participé à la manifestation l'autre jour, les gens criaient «Sauvons Kyoto!» Ça le rendait fou, il pensait que tout le monde parlait de lui. C'est un chien qui a un très bon caractère. Sa vie n'est pas compliquée, elle se résume à courir dans le bois et manger, dans cet ordre. Et dormir, pour raccourcir le temps d'attente entre les deux.