Des débats abrégés, des attaques au vitriol, une campagne «répréhensible» contre un député. Même majoritaire, le gouvernement Harper semble vouloir davantage battre ses adversaires que gouverner le pays, déplorent des observateurs du Parlement au terme d'une session mouvementée. Selon eux, cette attitude va-t-en-guerre ne fait qu'alimenter le désabusement à l'égard des élus.

Le premier ministre Stephen Harper a décroché un mandat majoritaire, le 2 mai, sur la promesse d'abolir le registre des armes à feu, de durcir les peines des criminels et d'éliminer la Commission canadienne du blé. C'est pourquoi personne n'a été surpris lorsque le gouvernement conservateur a déposé des projets de loi pour concrétiser ces promesses, à l'automne.

Mais ce que les observateurs n'avaient pas prévu, c'est l'empressement du gouvernement à faire adopter ses projets de loi, quitte à bâillonner l'opposition.

Au cours de l'automne, le gouvernement a adopté des motions d'attribution du temps à neuf reprises, sur cinq projets de loi différents, pour abréger les débats. En guise de comparaison, le gouvernement libéral a utilisé ce recours 10 fois lorsqu'il était au pouvoir entre 2001 et 2004, donc beaucoup moins souvent.

«Ce n'est pas habituel, surtout pas dans un contexte où il n'y a pas d'urgence, constate le professeur Hugo Cyr, expert en procédure parlementaire de l'UQAM. Ce ne sont pas des lois particulièrement pressantes.»

Des intentions connues

Le gouvernement Harper maintient que ses intentions ont toujours été bien connues, qu'il ne fait que mettre en oeuvre ses promesses électorales. Plusieurs des projets de loi qu'il a soumis au Parlement ont d'ailleurs été introduits à l'époque où il était minoritaire, une situation qui l'empêchait de les faire adopter.

«Nous avons permis à tous les partis de s'exprimer, a récemment indiqué à La Presse le leader parlementaire du gouvernement, Peter Van Loan. Mais en tant que Parlement, nous devons prendre des décisions.»

Mais Hugo Cyr s'étonne que le gouvernement Harper multiplie les recours à la clôture des débats. Il dispose pourtant de quatre longues années de majorité pour faire cheminer ses projets de loi.

«Comme on a un gouvernement majoritaire qui dirige le Parlement, observe-t-il, on semble faire en sorte de limiter le travail du Parlement en disant: "De toute façon, on est majoritaires, on va faire ce qu'on veut."»

Dans ce contexte, les travaux parlementaires perdent pratiquement toute pertinence, observe Robert Asselin, professeur de sciences politiques à l'Université d'Ottawa. Pire, ils se transforment en chassé-croisé d'attaques partisanes.

La vitrine du travail des élus, la période de questions, est devenue un «cirque», déplore ce chercheur. Des ministres lisent des réponses préparées par leur personnel, prenant chaque fois soin d'attaquer leurs rivaux politiques.

Dans un accès de colère, le député libéral Justin Trudeau a traité le ministre de l'Environnement de «petite merde», dans les derniers jours de la session. Interrogé sur le retrait du Canada du protocole de Kyoto, Peter Kent venait de railler les partis de l'opposition parce qu'ils n'ont pas assisté à la conférence de Durban sur les changements climatiques.

Ce même ministre avait lui-même rompu avec la tradition, quelques semaines plus tôt, en refusant que des représentants de l'opposition fassent partie de la délégation canadienne en Afrique du Sud.

Selon M. Asselin, cette tendance «inquiétante» ne fait qu'accentuer le fossé qui sépare les Canadiens de leurs élus.

«Ça alimente beaucoup le cynisme et c'est très dommageable pour la démocratie, déplore ce chercheur. À l'extérieur de la bulle d'Ottawa, la plupart des gens commencent à se désintéresser de la politique, les gens décrochent parce qu'ils trouvent que c'est enfantin.»

La guerre aux partis de l'opposition se poursuit à l'extérieur de l'enceinte parlementaire. Le Parti conservateur a admis être à l'origine d'une campagne nébuleuse contre le député montréalais Irwin Cotler. Une firme de marketing conservatrice a aussi dirigé une électrice de la région de Kitchener vers un mauvais bureau de vote. Le parti a indiqué qu'il s'agissait d'une erreur.

Erreur ou pas, l'attitude bagarreuse du gouvernement Harper n'a plus sa raison d'être, dit Robert Asselin. Les conservateurs ne semblent pas réaliser qu'ils ne sont plus à la merci des partis de l'opposition.

«Ces gens-là, malheureusement, ne gouvernent pas nécessairement en prenant des décisions pour le bien-être du pays, déplore le professeur. Ils gouvernent pour gagner, pour battre les autres partis politiques.»