Le gouvernement fédéral a discrètement planifié la vente des deux tableaux d'Alfred Pellan qui ont été remplacés par des portraits de la reine Élisabeth II dans le foyer du ministère des Affaires étrangères.

Mais il semble que l'idée ait été rapidement remisée après une forte vague de mécontentement au Québec.

Sept mois après avoir retiré des murs du ministère, les toiles «Canada Ouest Canada Est» dorment toujours loin des yeux des Canadiens.

Le remplacement des tableaux du maître québécois avait été ordonné 10 jours avant la visite du duc et de la duchesse de Cambridge, à l'été 2011.

Un mois après leur passage, des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information indiquent que des fonctionnaires discutaient de la possibilité de vendre les Pellan, qui valent chacun 90 000$, selon le ministère. Mais ces discussions ont rapidement cessé lorsque la nouvelle du remplacement a fait les manchettes.

Des fonctionnaires avaient d'abord suggéré que le portrait de la reine et les deux tableaux d'Alfred Pellan soient tous trois exposés au ministère. Le peintre avait réalisé ces oeuvres pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles étaient destinées au nouveau bureau diplomatique canadien au Brésil, puis ont été exposées dans l'édifice Pearson pendant presque 30 ans.

L'idée de voir «Sa Majesté» frotter ses épaules contre les Pellan a été rapidement rejetée par les conservateurs.

«Il y a eu beaucoup de discussions entre le ministre et le sous-ministre vendredi et, malgré d'autres recommandations, ils veulent aller de l'avant avec l'idée qui figure dans leur message», écrit un gestionnaire, faisant référence à un courriel d'un conseiller demandant de «décrocher les tableaux rouges».

Un mois plus tard, un document préparé, mais jamais rendu public par le ministère faisait état de leur volonté de vendre les peintures.

«Selon la politique du ministère sur les oeuvres d'art, les tableaux ont été évalués et jugés de trop de valeur pour qu'ils soient gardés par le programme d'art visuel du ministère», peut-on lire dans le document.

«Ils se trouvent actuellement dans l'entrepôt du ministère réservé aux oeuvres d'art, où ils sont gardés en attendant qu'un musée canadien ou une autre agence gouvernementale ne les achète pour les exposer».

À l'interne, des fonctionnaires ont semblé émettre des doutes quant à l'opportunité de vendre ces oeuvres.

«Devrions-nous reconsidérer le retrait de ces deux peintures de la liste des oeuvres à vendre ou à disposer?», s'est interrogé un fonctionnaire chargé de la collection d'oeuvres.

Un collègue a écrit qu'il faudrait peut-être reconsidérer le plan de communications et certains éléments stratégiques sur les tableaux destinés à la vente, puisque l'intérêt médiatique pourrait ne pas s'éteindre.

La décision de retirer les Pellan pour installer un portrait de la reine Élisabeth II a été vertement critiquée au Québec, en plus d'être jugée comme quasi colonialiste et des plus insultantes.

Alfred Pellan est l'un des plus célèbres peintres québécois, avec Paul Borduas et Jean-Paul Riopelle. Plusieurs espaces publics et circonscriptions fédérales ont été nommés en son honneur, alors que Pellan ne partageait pas les opinions souverainistes de ces deux contemporains.

À la fin du mois d'août, le projet d'afficher les toiles ailleurs a commencé à s'ébruiter à l'intérieur du ministère. On songeait notamment à les installer dans une autre section du lobby de l'édifice. Le bureau du ministre des Affaires étrangères, John Baird, a toutefois maintenu le secret sur le sort réservé aux tableaux.

«Le gouvernement du Canada n'a aucunement l'intention de vendre ces peintures», s'est contenté de répondre la semaine dernière Joseph Lavoie, porte-parole du ministre.

Cette décision de retirer les Pellan a outragé des Québécois qui ont écrit au ministre Baird.

«Que ce gouvernement se comporte en valet de Sa Majesté, comme si nous étions des citoyens britanniques, est profondément insultant!», a écrit un citoyen, ajoutant les mots «Québec, Angleterre» après sa signature.

«Je suis un fédéraliste qui commence à penser autrement devant un ministre anglophone, anti-québécois comme vous. Ce sont des décisions comme celle (sic) que vous venez de prendre qui permettent la montée du séparatisme ici au Québec», s'est insurgé un autre Québécois.

«Maintenant, par ce geste, vous crachez sur notre nation et confirmez à la face du monde entier le sentiment d'asservissement qui nous colle à la peau depuis la Conquête. Kate et William auraient sûrement pu passer quelques jours en terre étrangère sans voir la photo de "Mommy Elizabeth"», a lancé un autre citoyen.

Thomas Delworth, un diplomate canadien à la retraite ayant supervisé l'affichage des Pellan dans le lobby de l'édifice Pearson, a affirmé que les toiles devraient être installées de sorte que la population puisse les admirer.

«Je ne connais pas d'autre paire de tableaux, que ce soit au Musée des beaux-arts du Canada ou dans tout autre endroit, qui offre une image aussi complète de ce pays, d'un océan à l'autre», a fait valoir M. Delworth, qui a pris sa retraite en 1993.

«C'est pour cette raison qu'ils sont importants, et qu'ils appartiennent au ministère des Affaires étrangères. Ils racontent l'histoire du Canada aux centaines de milliers de personnes qui franchissent les portes de cet édifice et les voient sur ce mur», a-t-il ajouté.