Un député conservateur tente de relancer le débat sur l'avortement au Parlement. L'Ontarien Stephen Woodworth a présenté une motion à la greffière de la Chambre des communes, hier, dans laquelle il propose de mettre sur pied un comité spécial chargé d'étudier la définition d'être humain.

Le premier ministre Stephen Harper et son ministre de la Justice, Rob Nicholson, ont rapidement pris leurs distances par rapport à l'idée de leur collègue. «Les motions d'initiative parlementaire sont examinées conformément aux règles du Parlement», a noté le ministre Nicholson, dans une déclaration faite avant même la fin du point de presse de M. Woodworth. «Le premier ministre a été très clair: notre gouvernement ne rouvrira pas ce débat», a-t-il ajouté.

En effet, lors de la dernière campagne, M. Harper a promis de ne pas rouvrir les débats sur des questions comme l'avortement ou la peine de mort.

Pour le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois, ces soudaines sorties de simples députés conservateurs sont pour le moins suspectes. D'autres collègues de M. Woodworth se sont récemment prononcés en faveur d'une nouvelle conversation sur l'avortement. La semaine dernière, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a provoqué un tonnerre de protestations en suggérant de placer une corde dans la cellule des meurtriers en série pour qu'ils décident de leur vie.

«Est-ce que ce sont des ballons qu'on lance pour tester l'opinion publique [...], pour après aller dans l'action? Moi, je me pose cette question-là», a lancé la députée bloquiste Maria Mourani.

Le député de Kitchener-Centre a présenté son initiative comme une tentative de redresser une grave anomalie du système légal canadien, l'article 223 du Code criminel, qui prévoit qu'«un enfant devient un être humain au sens de la présente loi lorsqu'il est complètement sorti, vivant, du sein de sa mère».

Stephen Woodworth croit que les preuves médicales qui ressortiraient d'une étude formelle de la question permettraient de prouver que «les enfants sont en réalité des êtres humains à un certain point avant le moment de la naissance complète».

Cette distinction est un fondement du droit à l'avortement.

«Une fois qu'on aura décidé si un enfant à naître est un être humain, alors nous pourrons avoir une conversation honnête sur toutes les autres questions», a convenu M. Woodworth.

La motion devra être jugée recevable par un comité restreint de membres de la Chambre des communes avant d'être débattue. Elle pourrait ensuite faire l'objet de deux heures de débats vers les mois de mars et de juin. C'est à la suite de la deuxième heure qu'un vote aurait lieu.

Appels de l'opposition

Le Parti libéral, comme le NPD, devrait en principe permettre un vote libre sur cette question, puisqu'il ne s'agit pas d'une initiative du gouvernement. Le Parti conservateur également - mais personne dans les troupes de Stephen Harper n'a voulu répondre à cette question, hier.

Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, s'est néanmoins dit convaincu que la motion ne sera pas adoptée par les députés fédéraux. Mais «il y aura un débat clairement sur la question de l'avortement», a-t-il noté.

Vu la nature du dossier, Nycole Turmel, chef intérimaire du NPD, croit que le gouvernement devrait couper court à toute incertitude.

«M. Harper devrait tout simplement dire ouvertement qu'on retire ce projet-là et ça finit le débat», a-t-elle tranché.

M. Woodworth dit vouloir que le comité étudie les preuves médicales sur cette question et fasse rapport de ses conclusions au Parlement. Une fois ce débat-là sur la table, le député avance qu'une deuxième étape pourrait être de discuter «des conséquences», à savoir du droit à l'avortement.

Il est cependant resté vague sur les motifs qui motivaient le dépôt de cette motion. «Pourquoi je le fais n'est pas important en ce qui concerne la question de la politique. Soit il s'agit d'un bon article de loi, soit il n'est pas bon, et ce n'est pas important qui le remet en question et pour quelle raison», a tranché le député pro-vie.

M. Woodworth n'a pas voulu spécifier s'il avait eu une conversation sur le sujet avec le premier ministre, indiquant que cela relevait du domaine privé. Stephen Harper a répété publiquement à plusieurs reprises qu'il ne voulait pas rouvrir le débat sur l'avortement, un sujet qui divise et est souvent émotif.

Et il ne semble pas avoir changé d'avis. «Les motions d'initiative parlementaire sont examinées conformément aux règles du Parlement. Le premier ministre a été très clair: notre gouvernement ne rouvrira pas ce débat», a écrit le ministre de la Justice alors même que se déroulait la conférence de presse du député.

«Ce n'est pas ouvert, mais nous n'arrêtons pas d'en parler», s'est exclamée en Chambre la néo-démocrate Françoise Boivin.

«Les Canadiens se rendent bien compte de la gravité de la situation, car soit le gouvernement a perdu le contrôle de son caucus, soit il se fait complice des commentaires que le député a formulés ce matin. Et ça, c'est lâche», a-t-elle affirmé.

La bloquiste Maria Mourani penche plutôt pour la deuxième option et suppose que M. Harper était au courant de la démarche du député.

«Est-ce qu'ils essaient de passer par la porte d'en arrière pour faire passer des idées bien à eux? Et est-ce que c'est des ballons qu'on lance (...) pour tester l'opinion publique, tester comment les gens vont réagir pour après aller dans l'action? Moi, je me pose cette question-là», a-t-elle fait valoir.

Le chef libéral intérimaire Bob Rae croit pour sa part que cette motion est, de toute façon, vouée à l'échec.

«Chaque membre de la Chambre a le droit de présenter des initiatives privées. Moi je pense qu'il y a une bonne majorité de la Chambre qui ne votera pas pour une telle motion», a-t-il assuré.

Le caucus libéral, qui contient des députés pro-vie, votera comme bon lui semble au moment du vote sur la motion puisque M. Rae n'a pas l'intention d'imposer la ligne de parti sur le sujet. Traditionnellement, les motions émanant de simples députés et les projet de loi privés sont des votes libres.

Le vote sur cette motion pourrait survenir à la fin du printemps, mais aucune date n'a pour l'instant été mise à l'horaire aux Communes.

Stephen Woodworth