Le gouvernement Harper martèle que l'économie est sa principale préoccupation, et il mise sur les sables bitumineux pour attirer des investissements, créer des emplois et générer des revenus pour le gouvernement. Mais pour ce faire, dit le ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver, le pays doit s'affranchir de sa dépendance au marché américain.

«Nos sables bitumineux sont une ressource immense, dit M. Oliver en entrevue à La Presse. Il y a 170 milliards de barils prouvés, soit la troisième réserve au monde. Les États-Unis ne forment pas un marché suffisamment grand pour acheter tout. C'est pour cela qu'on veut se diversifier.»

M. Oliver a émergé comme le plus ardent défenseur des sables bitumineux au gouvernement Harper au cours des derniers mois. Il a notamment écrit une lettre ouverte remarquée - et critiquée - pour dénoncer l'influence des «écologistes radicaux». Il s'est rendu en Asie plusieurs mois avant la visite officielle qu'entame M. Harper aujourd'hui.

«Nous avons des intérêts complémentaires, dit le ministre. Le Canada veut diversifier son marché, et la Chine veut diversifier ses sources de pétrole et de gaz.»

Ce changement de cap est devenu d'autant plus nécessaire que l'unique client des sables bitumineux, les États-Unis, a servi une première surprise à Ottawa l'automne dernier. Le président Barack Obama a cédé aux pressions des écologistes et mis sur la glace le projet de pipeline Keystone XL. Pressé par l'opposition républicaine, il a confirmé son refus il y a deux semaines.

Cet oléoduc aurait permis d'acheminer le pétrole albertain vers les raffineries du Texas pour être vendu sur les marchés internationaux. Actuellement, la vaste majorité des exportations canadiennes de pétrole sont expédiées aux raffineries de Cushing, Oklahoma, où transite un pétrole appelé le West Texas Intermediate. Chaque baril de ce type de pétrole se vend une quinzaine de dollars moins cher que le brut dans les autres marchés internationaux.

En exportant leur pétrole vers les marchés asiatiques, les producteurs canadiens pourront obtenir un prix plus élevé.

«C'est une fiction de nous présenter comme une superpuissance énergétique alors que nous n'avons qu'un seul client, que nous ne pouvons nous permettre de fermer le robinet, ou que nous n'avons pas le courage de le faire», estime Paul Heinbecker, un ancien ambassadeur à l'ONU qui enseigne à l'Université Wilfrid Laurier de Waterloo.

Ce n'est pas un hasard, poursuit-il, si le gouvernement Harper s'implique activement dans le débat sur l'oléoduc Northern Gateway, ce projet controversé qui permettrait d'acheminer le pétrole des sables bitumineux vers l'océan Pacifique et de là, vers l'Asie.

Justement, au cours des deux dernières années, des sociétés chinoises ont investi des milliards dans les sables bitumineux canadiens (voir chronologie).

«Paradoxalement, si nous échouons à compléter le pipeline Northern Gateway, il y aura des ramifications internationales, explique l'ancien diplomate. En premier lieu, nous devrons enlever de notre discours à l'égard des États-Unis la perspective que nous puissions vendre notre pétrole à d'autres pays. Cela nous placerait de nouveau dans une position faible.»

Ce n'est pas d'hier que le gouvernement fédéral s'inquiète de la trop grande dépendance de l'économie canadienne envers les États-Unis. Au début des années 70, Pierre-Elliott Trudeau s'est activé à nouer des relations diplomatiques avec la Chine dans l'espoir d'intensifier les échanges commerciaux.

Le premier ministre, lui, estime que sa nouvelle approche diplomatique, ainsi que l'essor des sables bitumineux, permettra de financer les programmes sociaux à long terme. Depuis cinq ans, cette ressource rapporte en moyenne 22 milliards dans les coffres fédéraux.

«Il y a toujours des perspectives régionales différentes, a récemment indiqué M. Harper à La Presse. Mais pour la viabilité de nos programmes, y compris notre programme de péréquation, il faut avoir un secteur énergétique, surtout dans l'Ouest, qui reste et qui demeure très fort.»